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 Au sujet des "Grands textes de la cabale, les rites qui font Dieu."
          
REPONSES

 




Monsieur,

J'ai reçu une partie de votre article sur Les grands textes (une autre partie n'a pu visiblement être transmise par fax pour des raisons techniques).

 J'ai hésité avant de me décider à vous communiquer ma réaction à ce sujet. Mon premier mouvement a été de traiter par l'indifférence une telle accumulation de contre-sens et d'erreurs de lecture quant à cet ouvrage. Mais je me suis ravisé : puisque, cher Monsieur, vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer votre article avant publication, il me semble courtois d'y réagir, moi aussi, avant publication.

 Je n'ai pas eu un instant le sentiment que c'était du travail auquel j'ai consacré plusieurs années dont vous avez fait le compte-rendu. Soit vous n'avez pas correctement interprété le sens de mes propos, soit vous avez pris le parti de les déformer systématiquement. Il n'est pas un seul point où je puis constater une présentation authentique et droite de mes exposés.

Prenons, si vous voulez, les choses l'une après l'autre :

- "Un cabaliste authentique, déjà peu prolixe dans l'éditions d'ouvrages en hébreu, ne publiera jamais en langue étrangère". Il y eu des cabalistes qui écrivirent peu ou pas, qui publièrent peu ou pas, et d'autres, forts nombreux qui écrivirent et publièrent de nombreux et très abondants écrits. Certains ouvrages cabalistiques essentiels ont été écrits en langue étrangère : c'est le cas, vous le savez, du Zohar, écrit en araméen. C'est le cas de cabalistes qui écrivirent en arabe comme Yehoudah Ibn Waqar, Salomon ibn Malka ; c'est le cas du cabaliste d'origine espagnol Abraham Cohen Herra qui écrivit ses deux sommes de cabale lourianique en Espagnol. La liste n'est sûrement pas close. Je pense aussi à Elie Benamozeg (qu'il vous arrive de citer dans votre article) qui écrivit certains de ses livres et non des moindres en français et en italien. Dans son Israël et L'humanité (dans la version complète en cours de publication par le Rav Zini de Haïfa), par exemple, ce cabaliste expose la doctrine théurgique de la cabale pour la défendre contre ses détracteurs (très nombreux, y compris parmi les rabbins) et il fait référence à plusieurs philosophes non-juifs, dont Fichte, pour argumenter en sa faveur.

- "Le concept de théurgie est parfaitement classique et établi". Propos stupéfiant au regard de la masse d'écrits des cabalistes, dont certains comme le Sefer ha-Emounot de R. Chem Tov ben Chem  Tov, ont une visée polémique, leur propos étant de montrer le bien-fondé de cette conception et d'en rendre compte rationnellement contre ses nombreux adversaires, dont Rambam. Un grand Talmudiste, Roch Yéchivah et posséq de sa génération en Italie, R. Elie Delmedigo, a dénoncé dans son livre Behinat ha-Dat la théurgie dont il fait reproche aux cabalistes. Si vous aviez vraiment lu le livre pour lequel pour faite un compte-rendu si péremptoire, vous auriez trouver la référence p. 635. Ce n'est là qu'un exemple. Il faudrait écrire un livre sur l'histoire des luttes anti-cabalistes de certaines autorités rabbiniques. Y compris de rabbins contemporains. Et des réponses des cabalistes. (Je pense aussi aux écrits du Chadal contre la cabale, qui suscitèrent en partie les réponses du Rav Benamozeg).

- Il est indéniable qu'aucune source biblique ou rabbinique ne développe en tant que système de pensée, les conceptions "théurgiques" qui sont les leurs. Seuls les cabalistes, héritiers de ces sources, écrites et orales, le feront à partir du XIIe siècle. C'est un fait d'histoire et nous n'y pouvons rien. C'est tout à leur honneur d'avoir restituer à la nation d'Israël des conceptions combattues par Rambam, dont la pensée à leur époque faisait loi parmi les intellectuels juifs. Postuler que toutes les élaborations spéculatives, les arrangements systématiques des cabalistes étaient déjà transmis de tout temps de maître à élève sous le sceau du secret comme vous le dite, montre seulement que vous n'avez jamais étudié de près un texte de cabale ou en tout cas que vous n'avez pas été sensible aux efforts d'explication, d'élucidation, voire à leurs hésitations ainsi qu'aux controverses internes entre cabalistes qui n'ont pas manqué quant à ces explications.

- Je ne vois pas pourquoi vous stigmatisez l'emploie du mot "rite". C'est un terme d'origine sanscrit qui est entré depuis très longtemps dans la langue française, au même titre que le mot "obligations" que vous préférez et qui est, lui d'origine latine. Tout au long du livre j'emploie d'autres termes, comme celui de pratiques, de commandements, etc.

- Vous faite preuve d'une grande haine envers l'humanité quand parlez de "quelques individus païens et primitifs" pour parler des religions des trois quarts des êtres humains de cette planète. Ce langage de colonisateur et de missionnaire chrétien n'a plus court depuis la fin des grandes guerres coloniales.

- Venons-en maintenant à la question des "influences étrangères", qui est au centre, si je ne me trompe, de vos critiques. Ce livre, à vos yeux, a présenté la "connaissance sacrée" de la cabale "sous un angle blasphématoire et la lecture du présent livre donne l'impression pénible que toute la kabbale n'est qu'un vulgaire plagiat des œuvres des nations, pis encore, qu'elle s'inspire de rites païens archaïques, primitifs". Je suis absolument convaincu que cette impression vient du fait que vous n'avez lu cet ouvrage que d'un rapide survol. Mais je ne peux pas discuter d'une impression. En revanche, en ce qui concerne le néoplatonisme tardif, je puis vous dire que les cabalistes n'ont jamais caché l'importance qu'a eu pour eux certains éléments de la pensée platonicienne. R. Ezra de Gérone, un des premiers cabalistes, le cite nommément dans ses écrits, comme dans son commentaire sur le Cantique des Cantiques et ses Epîtres, pour le ranger dans son camp contre le camp de l'aristotélisme maïmonidien. R. Chem Tov ben Chem Tov emploie expressément la formule platonicienne d'Idées divines pour parler des sefirot. R. Elie Del Medigo écrit ceci : "Les conceptions des néoplatonicens et celle des cabalistes sont presque identiques au niveau des principes fondamentaux et au niveau des sujets concernant les sacrifices" (voir p. 144 des Grands Textes, note 63). Un cabaliste italien du XVIe siècle, R. Elie Hayim de Genazzono rapporte que Proclus, chef de l'école néoplatonicienne après Plotin, recevait son savoir de la Torah et il rapporte en l'approuvant l'idée qu'il était une réincarnation de Moïse.

- Mon ami Moché Idel dont vous citez le nom avec sympathie, et qui a porté un jugement contraire au votre sur mon ouvrage, vient d'écrire un article sur le néoplatonisme qui est en cours de traduction en français. Il y classe les diverses façons dont les influences néoplatoniciennes ont été reçues dans les écoles de cabale médiévales. Mais vous ignorez tout de ses écrits et de leur contenu. Il s'est déjà exprimé depuis longtemps sur l'influence de la théurgie néoplatoncienne sur la cabale. Je n'ai fait que préciser et étendre ses recherches à ce sujet.

Vous vous enfermez dans une fiction, celle d'une cabale totalement fermée, close comme un oeuf sur toute pensée extérieure. Cette fiction a elle-même son histoire. Au Moyen Age, les cabalistes espagnols auraient été très surpris que l'on puisse nier l'impact du néoplatonisme sur leur doctrine. Ils ne nourrissaient pas de haine contre l'humanité et ils ont su tirer le meilleur parti de ce langage de communication qu'était pour eux le néoplatonisme grâce auquel ils ont pu en leur époque où triomphait la philosophie d'Aristote coucher par écrit, élaborer en forme de système, construire une théorie de type philosophique (mais non fondamentalement philosophique) conforme aux traditions ésotériques juives anciennes dont ils étaient les héritiers et dont ils refusaient le remplacement par la métaphysique d'Aristote, comme le préconisait Rambam, qui estimait dans son Guide des Egarés, que le peuple d'Israël les avait perdu à cause de l'exil (voir le livre de M. Idel sur Maïmonide et la mystique juive). Et voir la conclusion de mon livre, p. 646, où je dis que la cabale " est un phénomène original qui ne peut être réduit à aucun autre ", et voir p. 645 où j'affirme contre Scholem et d'autres que la cabale si situe dans la continuité d'une tradition ancienne qui s'enracine dans l'Antiquité biblique, même si pour la communiquer et l'élaborer en système de pensée elle a emprunté des éléments-clé au néoplatonisme tardif. Voir aussi p. 633 où je propose de considérer avec sérieux l'hypothèse selon laquelle le néoplatonisme tardif (je nomme à cet égard Jamblique) a pu être influencé par le judaïsme de la fin de l'Antiquité, en ce qui concerne en particulier leur conception du culte. Cela mérite des investigations historiques difficiles, mais c'est une voie ouverte à la recherche.

 Mais votre réaction si négative, si unilatérale et si injuste à mes yeux m'inspire l'idée de consacrer un article, peut-être même un ouvrage, visant à faire comprendre un certain nombre de choses importantes, en ce qui concerne en particulier la nature des relations entre cette pensée que les chrétiens ont appelée païenne pour la dénigrer et le judaïsme. Je conçois que mon livre ait pu vous agacer, pour ne pas dire plus, mais sachez qu'aucune ligne qui s'y trouve n'a été inspirée par un autre souci que la quête de la vérité, quête qui ne saurait être tributaire d'aucune mode idéologique, d'aucune vision partisane de l'histoire et d'aucun chauvinisme, fut-il inspiré par un regard d'orthodoxie juive. Les études en histoire des idées qui ont abordé le judaïsme et la cabale en particulier ont été si souvent marquées par un préjugé défavorable et négatif, parfois même par une tendance antisémite souterraine, qu'il ne faut à aucun prix épouser ce genre de méthode pour la retourner contre les ennemis d'Israël. Il ne faut pas nous travestir pour paraître plus beaux, plus purs de toute influence étrangère aux yeux des autres ou à nos propres yeux. C'est à ce prix que nous serons ce que nous sommes et que nous éviterons une forme collective de paranoïa. Je crois trop au génie de la tradition d'Israël, que je vois tous les jours à l'oeuvre dans les livres que j'étudie, pour être si peu que ce soit gêné par la constatation de l'intégration de concepts, de termes d'origine étrangère au sein de cette tradition. La force d'une religion ne consiste pas à résister à toute influence venue des autres formes de pensée religieuses ou philosophiques (si tant est que cette distinction soit vraiment pertinente), mais à les faire sien, à les naturaliser, et en ce qui nous concerne, à les convertir en les immergeant au bain rituel purificateur de l'exégèse et de la tradition juive.

 J'espère avoir réagi avec franchise au procès d'intention que vous faites à cet ouvrage. En ce qui concerne votre article, je pourrais répondre encore à d'autres points que vous soulevez, mais je n'ai pu le lire en totalité et le temps et la place manquent pour le faire tout de suite. Je n'ai évidemment pas de recommandations à formuler quant à sa publication finale. Il vous appartient de faire comme bon vous semble, comme il m'appartiendra, quand il sera publié, de réagir publiquement comme bon me semblera.

 Je vous sais gré de l'attention que vous portez à ce travail et je vous adresse mon plus cordial salut.

Charles Mopsik.



Paris, le 23 Septembre 1993.

Monsieur,

 Je viens de prendre connaissance de votre article concernant mon ouvrage : Les grands textes de la cabale. La nouvelle version ne me paraît pas différente de la première. J'y ai trouvé les mêmes erreurs d'appréciations. Vous me reprochez des opinions que vous m'attribuez et qui non seulement ne sont pas les miennes mais que j'ai toujours combattues et j'ajouterai, puisque vous citez la jeune école de kabbale ainsi que le nom de Moché Idel, que j'ai été un précurseur en la matière puisque dès le début de l'année 1984, j'ai publié dans la présentation et dans la préface du tome II de ma traduction du Zohar, une critique de la vision scholémienne de la cabale en tant que forme juive du gnosticisme. En disant que, d'après mon ouvrage, il n'existe aucunement de tradition ésotérique juive, vous énoncer des contre-vérités, puisque je m'attache justement dans ce livre, et je suis l'un des premiers à le faire, sinon le premier, à montrer la continuité d'une tradition dont on trouve trace depuis l'Antiquité biblique. Vous vous trompez de livre, et cela pour une raison que j'ignore. Je ne peux pas imaginer qu'une lecture honnête ait pu vous donner les impressions que vous dites avoir eues. Vous ne faites pas une critique de mon livre, mais un procès d'intention fondé sur une lecture fantasmatique. Votre référence à la définition du Petit Robert sur le mot théurgie est d'un ridicule dont vous n'avez pas idée. Vous auriez pu citer les propos de Pierre Hadot, que je rapporte dans l'introduction, où la définition que je propose de ce vocable, vous auriez pu aussi indiquer à vos lecteurs la prudence que je recommande dans l'emploie de ce terme en ce qui concerne le judaïsme - il se trouve que je suis le premier à mettre en question la pertinence de ce terme pour la cabale, alors qu'il est utilisé sans mise en garde aujourd'hui par tous les chercheurs, de plus en plus nombreux, qui travaillent dans ce domaine. Scholem, Tishby, Altmann, Idel, Liebes, Hus, Zak, Wolfson, etc., utilisent couramment ce terme dans leurs travaux, et cela sans précaution particulière. Vous occultez systématiquement tout ce qui contredit le procès d'intention que vous faite à ce livre dans votre article. Vous falsifiez délibérément son contenu réel afin d'en faire une cible facile. Depuis près de quinze ans que je publie des livres, j'ai eu l'occasion de lire déjà de nombreux compte-rendu critiques, plus ou moins bien intentionnés, mais une oeuvre de faussaire telle que la vôtre, je ne soupçonnais pas qu'elle fut possible. Quels que soient les motifs réels qui vous ont poussé à fausser mes dires, j'envisage, après les fêtes, de m'adresser au Service Juridique du Centre National de la Recherche Scientifique pour leur demander comment faire reconnaître mon Droit de Réponse, prévue par la Loi, à moins bien sûr que vous acceptiez directement de m'accorder la jouissance de ce droit.

  Je vous prie, Monsieur, d'accepter mes salutations les plus froides.

Charles Mopsik




 
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