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LA CABALE
SYNOPSIS DE CHARLES MOPSIK POUR ISY MORGENSZTERN (1999) |
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PREMIER VOLET La cabale et ses pratiques
(usages) 1 Comment faire pour que Dieu
existe ? 2 Comment faire pour influencer
Dieu ? 3 Comment faire pour ressembler
à ce que l’on est ? 4 Comment faire pour faire
habiter Dieu en soi ? 5 Comment faire pour attirer la
présence de Dieu ici-bas ? 6 Comment faire pour engendrer
des justes ? 7 Comment faire pour s’unir à
Dieu - la voie du Zohar ? 8 Comment faire pour devenir
Dieu - la voie d’Abraham Aboulafia ? 9 Comment faire pour que les
personnes stériles deviennent fécondes ? 10 Comment faire pour accéder
aux mystères de la Bible et comprendre ses secrets ? 11 Comment faire pour voir
l’ordre invisible ? 12 Comment faire pour faire
venir le Messie ? 13 Comment faire pour voir la
Mère divine (la Chekhinah) 14 Comment faire pour réparer
ses fautes ? 15 Comment faire pour réparer
le monde ? 16 Comment faire pour faire un
homme (fabrication d’un golem) ? DEUXIEME VOLET La Cabale et ses conceptions Tout révèle l’ordre caché pour
qui en détient les clés L’origine de Dieu et du monde Les pierres et les métaux Les lettres La Parole Les couleurs Le corps humain Les personnages de la Bible Les astres Le Temple de Jérusalem Les nombres Les animaux Le décalogue - les dix plaies
d’Egypte Les plantes (vin, datte,
amande, cédrat, saule, blé, figue, arbres, roses, etc.) dans le verger de la
sagesse La géographie (organisation
l’espace = 4 points cardinaux, haut-bas, vallées, montagnes, mer, fleuves,
etc.) Les éléments (feu, flamme,
terre, poussière, eau, air, nuages, lumière, etc.) Les anges Les dix sefirot (et les quatre
mondes) La vie après la vie : la
réincarnation (guigoulim) et le cycle
des âmes, la Géhenne et les jardin d’Eden Les Âges du monde Le Messie et la rédemption TROISIEME VOLET L’histoire Prologue Il peut paraître paradoxal
d’entreprendre un parcours historique de la cabale alors que les cabalistes ont
cherché à s’arracher à la chronologie et à la fatalité du temps par tous les
moyens. Ils ont brouillé les pistes qui mènent à eux : quand la cabale
a-t-elle commencé ? On peut la faire débuter dans l’antiquité, avec les
visions des prophètes comme la vision d’Ezéchiel et leurs attitudes méditatives
comme celle d’Elie. On peut la faire démarrer à la fin de l’Antiquité, avec la
littérature apocalyptique et les visites faites au ciel, les rencontres avec
les anges, le ravissement des mystiques emporté par l’Esprit de Dieu ou le
sentiment d’un cosmos enchanté. La littérature des Palais est souvent considérée
comme le premier des témoignages relatifs à l’existence d’un courant mystique
dans le judaïsme pré-médiéval. Si les pistes qui remontent à la source se
brouillent, si cette source est sans doute faite de multiples petits canaux qui
ont conflué vers le fleuve principal que fut la cabale à partir du moyen âge,
il est certain que c’est vers la fin du XIIe siècle que les premiers maîtres
cabalistes sont connus par leur nom et que leur identité commence à émerger
comme réalité accessible aux historiens. Nous allons aborder l’archipel de la
kabbalah, la « tradition », par cette époque. Partie I La cabale historique Fin du XIIe siècle, début du
XIIIe, France du Sud ou Languedoc (régions de Narbonne), la cabale fait son
apparition comme retour à la tradition originelle après sa disparition supposée
affirmée par Maïmonide. La cabale comme « philosophie du judaïsme »,
opposée à Aristote comme recours des penseurs Juifs pour élaborée une
métaphysique et une physique compatible avec la Torah. Les débuts en Espagne : R.
Jacob et Isaac Hacohen de Soria en Castille. La Livre de la Lumière (livre de
visions). Les débuts de la doctrine de l’Autre côté (R. Moïse de Burgos). Les
sources judéo-allemandes. Les maîtres sans disciples qui commencent à rédiger
les « secrets de la Torah » pour qu’ils ne se perdent pas. L’âge d’or : la Castille,
milieu et fin du XIIIe siècle. Moïse de Léon et Joseph Gikatila. L’élaboration
d’une théosophie et d’une exégèse cabalistique. Absence de relations entre les
cabalistes et les mystiques espagnols. Paradoxe d’une créativité tournée vers
l’intérieur. Les pérégrinations d’Abraham
Aboulafia : son rejet hors d’Espagne, ses errances européennes, sa
rencontre manquée avec le Pape à Rome, et son voyage en Grèce puis son
aboutissement en Palestine. La rédaction du Zohar et ses mystères. Marche en avant
et retour au passé. Les continuateurs et
commentateurs du Zohar au XIIIe et
XIVe siècle. Un très grand maître inconnu : rabbi Joseph de Hamadan (une
source iranienne ?). Les derniers feux de la cabale
en Espagne avant l’expulsion (R. Joseph Angelet, R. Joseph Alkastiel de
Jativa). La cabale magique et le messianisme cabalistique : l’auteur
anonyme du Sefer Ha-Méchiv et sa
conversation avec les anges, la tentative avortée de rédemption magique de R. Joseph
Della Reina (sa lutte contre Satan). Les débuts de la cabale en
Italie : une cabale teintée de philosophie. R. Menahem Récanati (un
cabaliste encyclopédiste). R. Réuben Tsarfati. Les cabalistes exilés d’Espagne
investissent la péninsule. La cabale en Orient et au
Maghreb. Empire Automan (Turquie Egypte, Irak, Iran, Maroc, Algérie, etc.) Les
expulsés d’Espagne diffusent partout la cabale là où il y a des Juifs. La cabale à Jérusalem et à
Safed. R. Moïse Cordovéro. R. Isaac Louria et leur entourage. R. Hayyim Vital,
figure clé de son renouveau. La cabale devient un phénomène
social et la « théologie » collective des Juifs. Livres de cabale
écrits pour le peuple. Portage de la cabale dans la littérature éthique,
juridique, d’édification. La cabale chrétienne de la
Renaissance et les débuts de son « exportation » dans la culture
européenne en milieu chrétien. Le XVIIe siècle et les
métamorphoses de la cabale : poésie hébraïque, littérature
théologico-philosophique (Isaac Abravanel, Juda Abravanel dit Léon l’Hébreu et
ses dialogues d’amour). La cabale en Pologne. Les secousses provoquées par le
« Messie » Sabbataï Sevi. La fin du XVIIe siècle et le grand
désarroi. Le début du XVIIIe siècle et
les réinterprétations de la cabale lourianique. R. Hayyim Moshé
Louzzatto : l’adolescent de Padoue et le cabaliste maître de toutes les
disciples scientifiques et littéraires (la réinvention du théâtre juif). Le hassidisme
est-européen : La cabale des pauvres et les maîtres charismatiques. La
cabale chez les intellectuels allemands : Jacob Boehm, Schelling,
Oetinger, etc. La stagnation du XIXe siècle.
La cabale dans la société théosophique de H.PB. Blavatsky. La cabale
romantique. Le renouveau de la cabale au
XXe siècle. La cabale et le surréalisme. Son rôle dans le sionisme d’avant la
Shoa. II PartieLa cabale à l’époque
contemporaine. Les groupes d’études juifs
religieux traditionnels. Les groupes d’études
non-religieux et mixtes (non-juifs). Les nouveaux mouvements
religieux et la cabale en Europe et aux USA. Les nouveaux mouvements
religieux et la cabale en Israël. La cabale et la science
(surtout la physique théorique depuis Newton). La cabale dans la peinture et
la musique. La cabale au théâtre et au
cinéma. La cabale, le show business et
le New âge (de Madonna au Dalai Lama). La cabale dans la
Franc-maçonnerie : un réservoir de symboles et de rites. Les délires de l’extrême droite
française contre la cabale : une invention satanique de l’Antéchrist. Le militantisme des nouveaux
mouvements cabalistes (Bratslaviens, Loubavitch et Berguiens). La cabale à l’Université :
de Scholem l’exilé berlinois à Moshé Idel, exilé roumain, prix Israël 1999. Conclusion : l’histoire
continue, elle n’a peut-être jamais vraiment commencé. La cabale est une pensée
en constante élaboration aux ramifications indénombrables. Pourquoi cette
fécondité ? Pourquoi n’est-elle pas morte ou réduite à l’état de
fossile ? 1 Comment faire pour que Dieu
existe ? Un principe inconnu est à
l’origine de tout. Il est dénommé le plus souvent En Sof ou Infini. Les
cabalistes l’appellent encore en usant d’un concept d’Aristote Cause des
Causes. Ce principe ne peut être identifié au Dieu des croyances et des
pratiques religieuses. Rien ne saurait le définir et la notion même d’existence
ne lui est pas applicable. Aussi, les cabalistes se sont demandés :
Comment faire pour que ce principe primordial et caché, dont on ignore même
s’il existe, puisse vraiment avoir un sens pour nous les hommes. Ce sont eux
qui donnent un sens aux mots et aux choses qu’ils éprouvent. La pure
transcendance n’a aucun intérêt et n’est rien (elle est même appelée parfois
« néant »). Les cabalistes se sont faits les artisans d’une divinité
accessible. Les « auteurs » du Dieu dont parlent les prophètes et les
textes sacrés. Ils ont voulu donner forme à ce qui est impalpable, invisible et
surtout impensable. Ce qu’on ne peut pas parvenir à imaginer, à penser, à
conceptualiser, ils l’ont fait naître de leurs pratiques concrète. Le Zohar dit
que quand l’homme donne la bienfaisance au pauvre, c’est comme s’il fabriquait
Dieu. Car à cause de sa misère le pauvre pousse un crie qui dénie qu’il y ait
un Dieu. Cette négation de toute réalité divine provoquée par l’existence de
l’injustice ici bas, ne peut-être sérieusement contournée par des arguments
théoriques, des preuves ontologiques, des raisonnements théologiques,
philosophiques ou des arguments d’autorité et de foi. Elle doit être affrontée
pour ce qu’elle est. Pour montrer que Dieu existe, il faut le faire exister, et
pour ce faire il n’est qu’une pratique possible, celle qui peut réparer
l’injustice. De façon plus générale, toute
réparation des défaillances de l’ordre des choses, au niveau cosmique ou
social, est une brique ajoutée à l’édification de la divinité. Réparer les canaux,
reconnecter les fils brisés de la vie humaine (vie intellectuelle et concrète,
personnelle et sociale), c’est cela l’œuvre qui façonne un Dieu crédible. Et le
degré de son existence est proportionnel au degré de la réparation. Textes du Zohar à lire, ainsi
que de Joseph Gikatila. Montrer que cette idée est fondamentale pour la cabale
et qu’elle oriente et détermine toutes les autres. Quand on a compris cela, on
a compris toute la cabale. L’ensemble des rites et pratiques prescrites par la
religion juive a pour but final l’instauration de l’existence de Dieu comme
réalité du vécu humain. Spécialiste à interroger :
Moshé Idel, Jérusalem. Complément : Ce que les cabalistes
proposent, c’est de faire Dieu par tous les moyens à la disposition de
l’individu plutôt que des collectivités. Les cabalistes sont d’abord des gens
assez isolés dans leur environnement immédiat ; bien que, comme tous les
Juifs du Moyen Âge espagnol, ils appartiennent à leur communauté qui leur
garantie une existence réglée par la Torah et les régulations locales, qu’ils
dépendent comme les autres des autorités rabbiniques qui disposent d’un grand
pouvoir sur les personnes (ce sont les juges en matière de droit personnel,
sauf en ce qui concerne la peine de mort que seul le roi chrétien peut
infliger), les cabalistes se « recrutent » parmi l’élite dite
« secondaire », les intellectuels qui sont dépourvus de pouvoir sur
les personnes et les biens, et qui n’influencent leur voisins que par leurs
élaborations spirituelles. Donc agir efficacement consiste pour eux à
s’adresser aux consciences et à la capacité de chacun pris individuellement, de
faire quelque chose. De faire quoi pour « donner existence à
Dieu ? » On pourrait dire à la lumière de leurs écrits, en exagérant
à peine : « faire comme si Dieu existait ». Ce qui consiste à
faire le bien autour de soi, à prouver aux autres que ce Dieu peut réellement
exister. L’Infini gagne une réalité concrète et une forme définie comme
« Dieu bon », « Dieu d’Israël », « Créateur du
monde », quand l’homme manifeste par ses gestes et son comportement qu’il
croit à ce Dieu là et pas en une autre forme de Dieu. Il n’y a pas de recette
ni de rite particulier pour cette opération créatrice de l’objet même de sa
foi, excepté essentiellement la pratique de la bienfaisance qui est la plus
apte parmi toutes les bonnes actions à manifester l’existence d’un Dieu
semblable à celui qui est présenté dans la Bible et la littérature religieuse
juive. Alors la bienfaisance :
donner sans attendre de remboursement auprès de celui à qui l’on donne, faire
acte de pure gratuité ; en particulier, donner aux pauvres juste avant le
jour du sabbat. L’enjeux et la nature de cette pratique est finalement très
simple : si l’on arrive à prouver aux misérables que Dieu existe, non par
des arguments théologiques mais par des gestes concrets, on a réussi à conférer
une existence palpable, représentable, une présence « matérielle » à
l’Infini. On peut montrer des images de
mendiants « classiques » avec en voix off : leur misère a résonné
pour les cabalistes comme un défi et un appel : ils symbolisent et
incarnent concrètement le désir d’exister de l’Infini, son aspiration à devenir
un Dieu pour les hommes auquel les mystiques ont senti qu’ils devaient
répondre. Pourquoi un « ordre caché »,
qu’est-ce que l’ésotérisme, pourquoi cette transmission de la cabale longtemps
souterraine, quel est le sens du mot « secret » (sod) employé à tout bout de champ par les cabalistes ? Cela
fait partie du troisième volet. Mais on pourrait dès le départ donner une
indication importante, quoique énigmatique, qui prend tout son sens au cœur des
développements ultérieurs : le principe des principes, l’origine
primordiale appelé Infini par les cabalistes est nécessairement une
« réalité » caché ; c’est ce que déclare rabbi Azriel de Gérone
(Catalogne) dès le début du treizième siècle dans son traité intitulé Le
portique du questionneur (cha’ar ha-choel).
Ce qui n’a pas de fin, pas de limite, ne peut être pensé, représenté, ne peut
se manifester en tant que tel, car sans borne, sans bord, la forme, l’idée,
perdent toute signification intelligible et sont hors de portée de
l’imagination. Le premier principe infini est donc nécessairement caché,
absolument mystérieux. D’où le motif du « mystère » très amplement développé
et élaboré littérairement dans le Zohar
(citer quelques textes du Zohar en
voix off devant des spectacles mystérieux de la nature, du vivant, etc. serait
bienvenu, tout en précisant que ce n’est là qu’un reflet très atténué du
mystère de l’Infini, mais reflet néanmoins parce que rentrant dans l’ordre de
la complexité, voir de l’infiniment complexe). Ce qui est important c’est de
saisir ce passage du mystère de l’Infini à la connaissance de la vérité comme
connaissance de ce qui demeure voilé. La cabale est en effet moins une
« doctrine secrète » qu’une pensée du secret. Il s’agit tout d’abord
de voir les choses les plus courantes, les plus habituelles, comme si on les
regardait pour la première fois. Rien de ce qui apparaît comme évidence ne
révèle sa vérité aisément : toute chose est enveloppée d’une qlipah, d’une coquille, que l’on prend
souvent pour cette chose même et qui à ce titre est une contrefaçon, un piège à
opinion et le vecteur de toutes les illusions. Il faut la briser, surmonter les
illusions qu’elle provoque, pour pénétrer le fruit, l’amande, symbole du secret
et de l’objet du désir. Dans le contexte de la poésie et d la création
littéraire, c’est très exactement ce que Marcel Proust a si bien exprimé :
« Il dépend de nous de rompre l’enchantement qui rend les choses
prisonnières, de les hisser jusqu’à nous, de les empêcher de retomber pour
jamais dans le néant. » C’est au bout de ce chemin où l’homme amasse les
noix pour en briser la coquille, selon une image prisée par Isaac Louria, que
le désordre apparent laisse place à l’émergence d’un ordre insoupçonné, et,
rétrospectivement, ce que l’on croyait absurde ou insensé, la mécanique aveugle
par où s’enchaîne les événements, révèle une organisation complexe, tendue vers
une finalité qui nous dépasse tout en devant passer par nous, à travers
nous. Du mystère incompréhensible de
l’Infini à l’harmonie bienveillante orientant l’univers qui se cache sous le
chaos des jours, se déploie le travail du cabaliste qui n’est pas pure
méditation sur la beauté du ciel, mais participation active et nécessaire à la
révélation du divin. 2 Comment faire pour influencer
Dieu ? Mais il ne suffit pas que Dieu
existe. Il faut aussi qu’il existe non seulement vis-à-vis de moi, pour moi, ou
vis-à-vis des autres, mais qu’il existe en fonction de moi et des autres, non
pas comme une possibilité ou comme un être grandiose mais lointain, mais comme
une possibilité de changer le monde. Et pour cela il faut qu’il soit tout
d’abord lui-même influençable, que ce que je dis ou que je fais lui importe et
est susceptible de le transformer. Pour les cabalistes, à l’opposé des
philosophes, Dieu est passible, il prend des décisions ou fait des choix en
fonction de ce que font, disent, pensent, les hommes. Les cabalistes ont donc
cherché le moyen de faire pencher ses choix dans le sens le plus favorable.
Pour un des premiers cabalistes comme Isaac l’Aveugle (12° siècle, sud de la
France, voir volet historique), Dieu est non seulement passible mais il est
perfectible. Une faille l’a atteint, depuis le tout début, qui provoque toutes
sortes de dommages dans l’histoire : en particulier l’exil d’Israël et les
massacres consécutifs aux croisades. Les malheurs de l’histoire, les désastres,
les catastrophes collectives et individuelles ont pour origine une sorte de
brèche, de pgam (dommage), à
l’intérieur de la divinité. Cette faille est représentée symboliquement par
l’existence de l’ange Samaël (de sama, aveugle, et el, dieu), qui est prince
céleste tutélaire d’Amalek et d’Edom : peuples (d’origine biblique mais
qui se retrouvent sous diverses formes tout au long de l’histoire, récemment
Amalek a été identifié aux nazis allemands) qui sont des anti-Israël, à savoir
qu’ils ont un niveau d’être comparable, de haute significativité, mais orientée
vers le mal, le symétrique ténébreux d’Israël. Beaucoup à dire sur cette
faille dans le « corps divin ». Réparer de toutes les façons
possibles cette dimension abîmée de l’existence divine - elle admet le principe
du mal - est la première tache des cabalistes. Un élément du rituel de prière
juif remplit cette fonction de façon éminente : la récitation du Kiddouch
(sanctification). A ce sujet, les cabalistes, dans le sillage de R. Isaac
l’Aveugle, on remis en vigueur la pratique de l’élévation des mains. A l’instar
de Moïse se tenant sur la montagne les bras levés quand Israël combattait
contre Amalek dans le désert du Sinaï au sortir de l’Egypte, les Juifs doivent
lever les mains vers le ciel pour augmenter la puissance de Dieu en récitant
cette hymne de sanctification. C’est une manière de prendre à la lettre ses
premières paroles : « Que soit agrandit et sanctifié Son Nom
puissant… » On peut illustrer cela facilement par des prises de vue de
récitant du Kaddich dans une synagogue. En augmentant la puissance de Dieu qui
est défaillante à cause de la brèche, on participe, chacun selon la portée de
sa prière, à la restauration universelle. Il y a aussi les additions
cabalistiques à cette prière ; les manières de prononcer les mots et
surtout le nom divin pour accentuer la force réparatrice. Chaque son correspond
à un élément de la réalité divine, et en énonçant ces sons correctement, avec
la lenteur appropriée et la concentration spécifique, les sons prononcés par
l’homme entrent en résonance directe avec ses équivalents du monde divin.
Illustration par les cordes d’une harpe ou d’un violon accordés au même
diapason ; Quand on fait vibrer l’une, l’autre vibre à son tour. Dieu est
comme un deuxième violon qui vibre au diapason du premier, l’homme, s’il est
bien accordé avec lui (au moyen de ces concentrations et prononciations). Alors
que pour les rabbins du Talmud, l’homme est capable par ses actes d’influencer
la bonne marche du cosmos, par exemple faire tomber la pluie, augmenter la
production des récoltes, etc., pour les cabalistes, il ne s’agit là que d’une
conséquence d’une influence première exercée sur Dieu lui-même. L’homme est en dialogue et en
interaction constante avec Dieu. Il est son partenaire. Contrairement à la
prière ordinaire, il ne s’agit pas de s’attirer les bonnes grâces d’un Dieu
lointain. Mais la prière du cabaliste vise à coopérer avec Dieu en agissant sur
lui de façon quasiment technique : exemples : la prière pour avoir
des enfants s’adresse à la sefira Keter, la Couronne, source de toute la
fécondité du monde divin (les sefirot). La prière pour vaincre des ennemis
s’adresse à la sefira Guevourah, pour activer la vaillance divine et l’orienter
dans le but souhaité. Les cabalistes sont les opérateurs de l’être divin. Ils
le manipulent comme des ingénieurs manient une machine sophistiquée. Le
caractère mécanique n’empêche pas des relations personnelles, mais ces
relations sont fonction de la réalité objective constituée par le système des
sefirot qui est la divinité, On peut dire que dans le christianisme et une part
du judaïsme rabbinique « classique », Dieu est perçu comme une sorte
d’animal qu’il faut apaiser en lui offrant le sacrifice de ses désirs, alors
que dans la cabale il est plutôt un réseau de rouages complexes dont il faut connaître
le détail des engrenages pour en actionner les différents éléments. D’où
l’importance de la connaissance préalable à toute action pertinente. D’où la
notion de « gnose », qui n’est pas une connaissance contemplative ou
méditative, une simple vision, mais une connaissance pratique, qui tente de
répondre à la question « comment ça marche » ? La cabale est
cette connaissance pratique transmise pendant des générations pour savoir
« comment ça marche » Dieu, afin d’agir sur lui, de l’influencer dans
le sens souhaité. Mais ce n’est pas non plus de la « magie », car le
cabaliste connaît comme le technicien le système qu’il met en branle. 3 Comment faire pour ressembler
à ce que l’on est ? La Genèse énonce : l’homme
a été créé à l’image de Dieu (Genèse 1:26-27). On est donc une image de Dieu,
et de plus, comme l’a dit rabbi Akiba dans le traité des Pères, on le
sait ! Sachant cela, il importe non pas de rester sage comme une image,
mais d’être à la hauteur de ce que l’on est. Autrement dit, cela ne suffit pas
de ressembler par sa forme physique à Dieu, il faut aussi lui ressembler par
les actes. D’où le thème de ce qu’on appelle en christianisme imitatio dei, et qui prend avec les
cabalistes une ampleur considérable. Ceux-ci se sont mis en tête de parfaire
cette ressemblance qui n’est que très partiellement offerte par la naissance.
Ils ont rédigé des traités entièrement consacrés à ce but : que l’individu
devienne la réplique exacte de la divinité, qu’il lui soit semblable au point
de pouvoir être confondu avec elle. Un de ces traités, le Palmier de Débora de Moïse Cordovéro (Safed, XVIe siècle), va
jusqu’à enseigner la manière d’imiter Dieu en ce qu’il est le Néant mystique
cher aux spirituels de toutes les confessions, et pousse même l’audace jusqu’à
faire allusion à une manière d’imiter l’Infini, qui n’est autre qu’une façon
d’apprendre à mourir comme retour de ce qui est à l’écrin initial d’où il a été
tiré. Car tout vient de l’Infini et tout retourne à l’Infini, et l’Infini
lui-même fait retour en sa propre infinité de laquelle avait été distraite un
temps pour faire exister une divinité pour les hommes. (Thème des cycles
cosmiques ou chemitot sur lequel il
faudra revenir dans le deuxième volet). On pourra montrer quelques
exemples visibles de cet effort pour ressembler à « Dieu », donc à
soi-même comme être réel, doté d’une identité substantielle. Les vêtements par
exemples. Les cabalistes en général se laissent pousser la barde, afin de
ressembler au visage de Dieu tel qu’il est décrit dans le livre de Daniel. Il
s’habillent en blanc pour recevoir le sabbat afin de ressembler à Dieu qui va
ce soit là à la rencontre de la Chekhinah, la présence divine (voir deuxième
volet). Ils ont donc pousser à l’extrême le souci de l’imitation de Dieu qui
s’exprimait déjà dans la littérature rabbinique, mais de façon très générale
(il s’agissait d’avoir les mêmes vertus que Lui : la miséricorde, la
grâce, en particulier). Ce n’est plus pour « faire comme Dieu », mais
pour « être comme Dieu », à savoir être pleinement son image, sa
ressemblance, que les cabalistes ont multiplié les prescriptions dans ce
domaine. Et cela jusqu’au niveau de la relation sexuelle, il y a à ce sujet un
texte de Cordovéro, inséré dans son commentaire sur le rituel de prière, que
j’ai eu l’occasion de traduire, et qui décrit très en détail comment l’homme,
en s’unissant charnellement à sa femme, peut imiter l’accouplement des entités
divines masculine et féminine. Il faudra peut-être lire en voix off un passage
de ce texte, mais problème pour les images : on peut difficilement montrer
une scène X ! On pourrait se contenter d’une évocation indirecte ? 4 Comment faire pour faire
habiter Dieu en soi ? Coopérer avec Dieu c’est aussi
devenir son « véhicule » ici-bas. Ainsi la vision d’Ezéchiel qui a vu
le char divin se réalise dans la vie du cabaliste et dans son existence même.
Le Temple de Dieu n’est plus une réalité historique du passé ou un vœu pieu
pour l’avenir. Le corps du cabaliste devient Son Sanctuaire où il trouve le
repos et une place sur la terre. Ainsi, Joseph Gikatila, en ouverture du Cha’arey Orah, parle de la pureté et de
la sainteté de chaque organe comme étant le fait de sa transformation en
véhicule ou en résidence de l’organe correspondant du grand corps de Dieu - le
système des sefirot est regardé comme un macroanthropos. Les rites de
purifications visent donc à faire du corps de l’homme un habitacle pour le
corps de Dieu - organe par organe. On peut montrer le rite de purification du
bain rituel. Ce n’est pas comme dans le baptême un acte d’introduction
symbolique dans une communauté ou un acte de purification morale pour les
péchés accomplis. C’est une mise en contact du corps de l’homme (ou de la
femme) avec le Corps de Dieu, le premier s’imprégnant du second à travers l’eau
qui est un fluide par où l’être divin est transporté et transmis. C’est une
sorte de « téléportation » accompli dans un lieu approprié, une sorte
de « cabine technique », qui assure la bonne connexion entre les
corps des deux univers. Cet acte doit être répété parce que le corps de l’homme
perd peu à peu cette imprégnation au cours du temps de la semaine. En principe,
le vendredi est le jour le plus approprié, car il précède le Shabbat où le
grand corps divin recouvre son unité plus ou moins lésée par la vie quotidienne
et le travail. C’est dans le corps de l’homme et surtout dans le temps du
Shabbat que la présence de Dieu vient se poser et se reposer. 5 Comment faire pour attirer la
présence de Dieu ici-bas ? Beaucoup de pratiques sont
regardées comme ayant une fonction talismanique : capture et attraction de
la puissance divine. Ce n’est pas « l’esprit de Dieu » qui par un
acte de pure grâce vient sur les croyants. Par exemple, prenons le rite du
Qiddoush du vendredi soir, à l’accueil du Shabbat. On verse du vin dans une
coupe et on récite une bénédiction. Cette coupe de vin vise à attirer le
« vin d’en haut », l’influx de la sefira Guevourah (la Puissance). Le
vin d’en bas, du verre de vin, attire, par sa correspondance avec la sefira
Guevourah, le « vin d’en haut ». Le même attire le même. Il n’y a pas
de transsubstantiation comme dans la messe, le vin de l’eucharistie devenant le
sang du christ que le fidèle boit. Mais le vin ordinaire devient, par la
puissance de la bénédiction et du rite, un attracteur du « vin d’en
haut », de la puissance de Dieu émise par la sefira Guevourah. Il joue le
rôle de talisman, ou en langage plus moderne, d’antenne de réception ou
d’aimant supraconducteur. Il faut filmer une cérémonie du Qiddoush, avec les
chants cabalistiques qui l’accompagnent. Cette conception se trouve dans le Zohar et chez rabbi Joseph de Hamadan.
Il y a bien sûr beaucoup de détails en plus : la couleur du vin, qui est
rouge, rappelle l’essence de la sefira Guevourah, qui est aussi la dimension du
jugement, du combat, de la planète Mars, etc. C’est le vin de la joie (de
couleur rouge éclatant), par opposition au « vin de la colère » qui
est de couleur rouge-noir et qui est le vin de Satan, de l’Autre côté, de
l’ivrognerie, du « péché originel ». La fonction talismanique des
prescriptions rituelles s’exerce sur la plupart des objets utilisés pour le
culte. Le vin dans sa coupe du Shabbat n’est qu’un exemple
« ordinaire ». 6 Comment faire pour engendrer
des justes ? Dès les premiers écrits de la
cabale, la préoccupation de l’engendrement apparaît. Il s’agit pour les
cabalistes d’élaborer la technique qui va permettre d’engendrer « à
l’image de Dieu » (Genèse 1:26-27), à savoir de donner naissance à des
« justes », à des hommes capables à leur tour d’effectuer des
« réparations ». L’engendrement n’est pas du tout de leur part un
souci nataliste, il ne s’agit pas d’engendrer n’importe qui. Mais il leur faut
« prolonger la chaîne de la ressemblance », mettre en circulation une
lignée d’êtres humains capables d’opérer des restaurations et d’attirer la
présence divine ici-bas pour qu’il n’y ait plus de séparation entre le haut le
bas et que l’opposition esprit matière perde toute pertinence. Les techniques
d’engendrements ont été très élaborées. Un premier texte fondamental à ce sujet
a été rédigé vers 1280 et s’intitule « Lettre sur la sainteté », il a
été longtemps attribué à Nahmanide, grand rabbin de Gérone en Catalogne, mais
Gershom Scholem à montré qu’il ne pouvait pas en être l’auteur. Ce texte anonyme
est peut-être dû à R. Ezra de Gérone ou à rabbi Joseph Gikatila. Il spécifie
les moyens à la fois préparatoires et opératoires visant à un tel engendrement.
Le plaisir ou la volupté ne sont pas absent de l’acte charnel de l’engendrement
visant à enfanter des « justes ». Il faut une nourriture appropriée,
un temps opportun, une intention précise, et surtout une manière de
comportement avec la partenaire qui vise son plaisir à elle en priorité. Ce
petit traité de l’art d’engendrer est devenu très célèbre et il est
régulièrement transmis aux nouveaux mariés de nos jours encore. C’est cet
ouvrage qui est longuement évoqué et lu dans le film de Sydney Lumet « Une
Etrangère parmi nous », dans la scène ou la femme policière et le jeune
hassid ont une longue conversation à deux sur une terrasse. Il en existe de
multiples éditions de plusieurs traductions dans diverses langues, dont le Catalan (aussi en français, anglais,
etc.). Ce livre se distingue de tout
ce qui a été écrit sur l’ars sexualis en Occident médiéval, en ce qu’il est
essentiellement tendu vers l’engendrement de justes et non pas de n’importe
qui. Il y a quelques autres écrits vers cette époque en milieu chrétien (cf. le
livre de Thomasset qui en dresse un inventaire), aucun ne constitue cependant
un traité mystique où l’union à Dieu est réalisée pendant la copulation et
l’éjaculation même afin d’en extraire la lumière de sa présence qui s’intégrera
dans l’embryon et l’habitera pour donner naissance à un « juste »,
porteur de cette lumière divine et de sa ressemblance (non pas au sens
simplement plastique mais au sens d’une identité) et capable d’opérer les
« réparations » nécessaires au processus de progression de la
création vers son accomplissement et sa perfection. On pourrait passer un extrait
du film de Lumet où ce traité est cité et/ou lire quelques passages de ma
traduction française. Il s’agit d’un traité qui
comprend des parties philosophico-physiologiques et des parties
mystico-cabalistiques. 7 Comment faire pour s’unir à
Dieu - la voie du Zohar ?
La recherche d’une relation
intime avec la divinité, intime et personnelle, fait partie des grandes quêtes
des cabalistes. Dans l’école du Zohar,
cette recherche est liée à un but pratique d’ordre théurgique : en étant
plus proche de Dieu, on peut mieux l’influencer et agir sur lui. Des versets du
Deutéronome sont à la base de cette entreprise : 4:4, 6:5, 11, 22 :
« A lui vous vous attacherez ». La devéqout, ou adhésion, collage étroit avec la divinité, a été
décrit par Moïse de Léon, l’auteur présumé du Zohar, au XIIIe siècle : « J’ai vu en fait dans les Mystères de l’Unité ([1])
des choses nombreuses et glorieuses, très intimes, taillées dans le saphir,
concernant le secret de la voie intérieure, comme nous l’expliquerons avec
l’aide de Dieu. Comprends donc que l’opération du culte de l’homme envers son
Créateur, qui s’effectue par la parole de sa bouche, de sa langue et de ses
pensées est adéquate lorsqu’il place son cœur, ses pensées et une entière
intention dans le secret de son Unité, avec crainte, peur, tremblement et
sueur ; “avec sa bouche il Nous invoquera et avec son cœur et ses pensées
il Nous unira”. Et tout cela quand il fait mémoration de son Unité, car ce
faisant il s’unit réellement à Lui en fusionnant par son âme unique ([2])
avec son Créateur, afin de livrer son âme et son cœur dans ce culte ([3]) ».
Cette remarque est particulièrement intéressante. Elle indique clairement que l’unio mystica est considérée comme un moyen dans l’accomplissement du
culte parfait, qui est d’ordre théurgique (unifier la divinité, restaurer son
unité ébranlée par l’exil et la séparation), et non comme son but ultime. Ainsi
l’union à Dieu, réalisée par une concentration intense lors de la récitation du
Chéma Israël, vise l’union de Dieu avec lui-même, la réunion de ses
dimensions masculine et féminine. Néanmoins, l’idée d’une fusion de l’âme dans
le divin est bel et bien présente. « Livrer son âme » signifie
prendre le risque de sacrifier sa vie pour accomplir correctement le culte.
L’union mystique permet à l’adorateur d’offrir sa vie pour le service de Dieu.
En marge de son exemplaire, Scholem écrit : « unio mystica », ce
qui implique qu’il reconnaît ici la présence d’un motif dont il tend à sous
évaluer par ailleurs l’existence dans ses publications. Pour le Zohar et les cabalistes qui
appartiennent au cercle d’où il a émergé, ce que l’on appelle l’union mystique
à Dieu est une opération pratique visant non pas une contemplation ou la
béatitude, à savoir le plaisir pur de la présence de l’ineffable, mais une
action concrète et rédemptrice, une réparation : l’unité de Dieu, la
connexion harmonieuse de tous ses attributs, dimensions etc. (appelées sefirot)
est encore une utopie, elle n’est pas une réalité déjà établie et constante,
Dieu n’est pas vraiment Un tant que son peuple connaît l’exil, la persécution
et l’humiliation parmi les nations du monde qui ne Le connaissent pas.
Partageant le sort de Dieu en s’unissant à Lui, goûtant ce faisant cette fêlure
inscrite au sein du Corps divin cosmique, l’homme récitant le Chéma’ effectue un acte de réparation,
partiel et qui doit être tous les jours répété, il rappelle l’utopie de l’Un et
s’investit dans la reconquête de sa plénitude dévastée. Il convient de montrer des
hommes récitant le Chéma’, et
pourquoi pas, montrer quelques images tournées par une équipe de télévision
dans la Yéchivah cabalistique de Bet El à Jérusalem où l’on assiste à une
récitation cabalistique du Chéma’ :
très grande concentration sur les mots, prononciation très lente et accentuée
suivant les méthodes mises au point par les cabalistes des générations
antérieures (surtout XVIe siècle). Ces méthodes visent à la plus grande
efficacité possible dans l’union à Dieu et l’union de Dieu. Sur la devéqout ou union à Dieu dans le Zohar ou dans l’école d’Aboulafia (voir chapitre suivant), on
pourra interroger Moshé Idel. 8 Comment faire pour devenir
Dieu - la voie d’Abraham Aboulafia ? L’idée d’une
« divinisation » de l’homme par la voie mystique se trouve déjà chez
Judah Halévy. C’est une idée qui courait dans la philosophie religieuse
islamique et le soufisme. Abraham Aboulafia, cabaliste qui vécut d’abord à
Saragosse en Araon où il naquit en 1240. Puis il s’installa à Tolède. Il étudie
la philosophie puis bénéficie d’une révélation prophétique qui lui enjoint d’aller
rendre visite au Pape. Beaucoup de détails biographiques sont connus à son
propos, ce qui est un cas presque unique parmi les cabalistes. Ce personnage
tend à devenir une figure légendaire de nos jours dans le grand public cultivé,
alors qu’il demeure très peu connu parmi les juifs traditionalistes. (Par
exemple : l’ordinateur décrit par Umberto Ecco dans le Pendule de Foucault
s’appelle Aboulafia ; le site Internet de stockage de la littérature
française numérisée s’appelle ABU - Association des Bibliophiles Universels -
en référence explicite avec Abulafia. Il y a même un opéra contemporain qui est
en cours de rédaction sur Aboulafia, sans parler des pièces de théâtre - en
particulier Armand Gatti - où ce personnage apparaît. Ce cabaliste a élaboré une voie
d’accès directe à l’union à Dieu qui vise une parfaite fusion avec lui. Il a
mis au point des techniques très précises. Il faut s’isoler dans une chambre,
fermer les fenêtres, s’habiller tout en blanc, réciter des monosyllabes de
façon répétée en tournant les yeux à mesure et en respirant à chaque fois. Et
surtout, il faut écrire des lettres en hébreux, sans ordre précis, sans former
aucun mot intelligible, et de l’inscription de ces suites de lettres dans de
telles conditions, une expérience d’extase en découle, qui permet au corps de
subir une transformation psycho-physiologique où l’élément essentiel est la
suractiviation des sens. Le but ultime étant la pure jouissance de ce contact
intime avec Dieu. Des descriptions détaillées se trouvent dans le livre de M.
Idel : L’expérience mystique
d’Abraham Aboulafia, Le Cerf, 1989, et dans son livre Language, Torah and Hermeneutics in Abraham Abulafia (SUNY Press).
La combinaison des lettres, leur permutation, leur libre association, sont les
principales techniques recommandées par Aboulafia. Dans son type de mysticisme,
l’homme élève son esprit jusqu’à Dieu, tandis que pour les cabalistes de
l’école du Zohar, schématiquement,
c’est Dieu qui descend dans l’homme. Parvenir à la prophétie, à l’ouverture de
l’esprit et de la parole qui la libère des contraintes de toutes nature, permet
d’unir l’intellect de l’homme à l’Intellect Agent, ou à Dieu même. Le grand spécialiste d’Aboulafia et de l’union mystique (et ses
techniques dans le judaïsme) est Moshé Idel, mais Elliot Wolfson aussi en a
traité. Il y a des choses à montrer sur la fascination exercée par Aboulafia.
On peut interroger Umberto Ecco par exemple. Aboulafia a été aussi longtemps
considéré comme personna non grata parmi les juifs orthodoxes à cause de la
controverse qu’il eut avec Isaac Ben Chéchet, grande autorité rabbinique
d’Espagne. Mais il faut voir la partie historique pour avoir plus
d’informations sur la vie mouvementée Aboulafia. 9 Comment faire pour que les
personnes stériles deviennent fécondes ? Engendrer est un enjeu
énorme : il s’agit de perpétuer le peuple d’Israël, de donner une chance
supplémentaire pour la restauration du monde par l’engendrement de justes,
comme on l’a vu précédemment. La stérilité doit donc être combattue. Les techniques
mises au point par les cabalistes sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord les
invocations de type magique, les amulettes. Il y a aussi l’appel aux âmes
complémentaires. En effet, une des grandes causes de l’infécondité est pour les
cabalistes le fait qu’une femme a en elle une âme d’homme. Cette femme
masculine doit faire appel à une âme féminine errante, qui ira l’habiter
momentanément de manière à lui procurer les étincelles féminines qui lui font
défaut pour lui permettre de devenir enceinte. Il s’agit du phénomène du ‘ibour. Si elle ne peut obtenir cette
âme féminine passagère, son mari peut le faire à sa place : il sera le
réceptacle de l’âme féminine, en obtiendra les étincelles de féminité qui
manquent à sa femme, et il assumera le rôle masculin et féminin au sein de la
relation sexuelle. En matière de pratiques
magiques, il y a la récitation de certaines suites de lettres choisies pour
leur pouvoir fécondateur : voir par exemple la recette donnée par R. David
ibn Zimra, grand rabbin Egyptien au XVIe siècle (dans son Maguen David, livre
sur les lettres de l’alphabet hébreu). On peut dire que la fécondité
est une des grandes obsessions juives depuis la Bible et surtout depuis l’exil.
Il faut assurer la survie et la pérennité d’un peuple qui est vouée à
l’extermination par la vindicte des nations et leur hostilité. C’est une de ses
grandes angoisses (ce n’est pas de cas chez les Chinois par exemple…), bien
plus qu’en milieu chrétien ou musulman, car ce n’est pas seulement une affaire
privée ou familiale mais la question de la survie d’un projet de salut
universel. 10 Comment faire pour accéder aux mystères de la Bible et comprendre ses secrets ? La Bible est un document
chiffré, au sens où ses récits ne sont qu’un voile qui cache un système de
pensée et un savoir très précieux portant sur la structure du monde, de
l’homme, et de Dieu. Pour y accéder, une voie principale : étudier chez un
maître et suivre les enseignements des cabalistes, ceux qui ont reçu et
transmettent les clés du décryptage de ce code. Cela ressemble un peu à ce que
l’on trouve dans certains courants de l’imâmisme iranien considéré comme
hérétiques qui voient dans le Coran la falsification d’un enseignement secret.
On peut interroger à ce sujet Mohamed Amir Moezzi de l’Ecole Pratique des
Hautes Etudes qui se consacre à l’étude de ces courants. Mais les cabalistes
ont écrit beaucoup de livres, de peur que cet enseignement se perde, faute de
disciples capables de le transmettre.
Le Zohar en est un des
exemples les plus flagrants. Il faudrait lire un texte tout à fait explicite du
Zohar à ce sujet : « Voici la sagesse dont
l’homme a besoin : premièrement il doit connaître et scruter le mystère de
son Seigneur. Deuxièmement il doit connaître son propre corps et savoir qui il
est, comment il a été créé, d’où il vient, où il va, comment a été agencée la
structure du corps, et comment il est destiné à comparaître en jugement devant
le Roi de tout. Troisièmement il doit connaître et scruter les secrets de son
âme : qu’est-ce qu’elle est cette âme qui est en lui ? D’où
vient-elle ? Pourquoi est-elle venue dans ce corps, une goutte
pourrie ? Car aujourd’hui ici et demain dans la tombe ! Quatrièmement
il doit scruter ce monde et connaître l’univers dans lequel il se trouve et par
quoi il peut être réparé. Enfin [il scrutera] les secrets supérieurs du monde
d’en haut afin de connaître son Seigneur. L’homme scrutera tout cela à travers
les secrets de la Torah. Viens et vois : quiconque se rend dans ce
monde-là sans connaissance, même s’il possède de nombreuses bonnes œuvres, on
le rejette de tous les portails de ce monde-là. Sors et voie ce qui est écrit
ici : “Raconte-moi” (Cant. 1:7), dis-moi les secrets de la sagesse d’en
haut, comment Tu mènes paître et diriges le monde supérieur. Enseigne-moi les
secrets de la sagesse que j’ignore et que je n’ai pas étudiés jusqu’à
maintenant, de sorte que je n’éprouve pas de honte au milieu des degrés
supérieurs parmi lesquels je vais pénétrer, car jusqu’ici je ne les avais pas
contemplés. Viens et vois. Qu’est-il marqué ? “Si tu ne le sais pas, ô la
plus belle d’entre les femmes” (Cant. 1:8) : si tu viens sans connaissance
et que tu n’as pas scruté la sagesse avant d’être arrivé ici, que tu ne connais
pas les secrets du monde d’en haut, “sors donc” (ibidem), tu n’es pas apte à pénétrer ici sans connaissance ;
“sors donc sur les talons des brebis” (ibidem)
et tu obtiendras la connaissance parmi ces “talons des brebis” – ceux que les
hommes foulent du talon mais qui connaissent les sublimes secrets de leur
Seigneur, avec eux tu sauras scruter et connaître. “Et fais paître tes
chevrettes” (Cant. 1:8) : ce sont les petits enfants de la maison de leur
maître, les enfants qui sont à l’école et apprennent la Torah. “Près des
demeures des bergers” (ibidem) :
près des synagogues et des maisons d’étude où ils apprennent la sagesse d’en
haut, et bien qu’ils ne la comprennent pas, toi tu la connaîtras à travers les
paroles de sagesse qu’ils énoncent » (Zohar
Hadach, sur le Cantique des Cantiques, 70d). Le salut de l’individu, le
salut de son âme aussi bien que le bien-être de son corps dépendent de la
connaissance de ces secrets. Contrairement à ce que l’on trouve dans le
judaïsme commun, les cabalistes accordent plus de place à la connaissance comme
moyen de salut, qu’à la pratique des commandements. Mais la connaissance est à
leur yeux une pratique et pas seulement une pure contemplation. C’est un
exercice de mise en relation, d’ouverture de l’esprit, qui permet de
traverser les apparences et de parvenir au véritable corps de la Torah en
dépassant ses enveloppes extérieures. On peut interroger Elliot
Wolfson à ce sujet qui a écrit sur le caractère ésotérique de la cabale et a
publié un ouvrage sur les ésotérismes dans les diverses religions. On peu aussi consacrer une
séquence au « code de la Bible » et aux techniques mises au point par
les cabalistes pour le déchiffrer : numérologie, combinaison de lettres,
etc. On pourra interroger un « praticien », comme Georges Lahy
(Virya) par exemple. [1]. Il s’agit, semble-t-il, d’un des titres
qui servent d’appellation déguisée du Zohar. [2]. Ou « esseulée ». Le mot
« unique » (yehidah)
désigne aussi la plus haute dimension de l’âme, d’après une célèbre exégèse
midrachique, dans Gen. Rabba 14:9. [3]. Cette remarque est particulièrement
intéressante. Elle indique clairement que l’unio
mystica est considérée ici comme un moyen dans l’accomplissement du culte
parfait, qui est d’ordre théurgique (unifier la divinité), et non comme son but
ultime. Néanmoins, l’idée d’une fusion de l’âme dans le divin est bel et bien
présente. « Livrer son âme » signifie prendre le risque de sacrifier
sa vie pour accomplir correctement le culte. L’union mystique permet à
l’adorateur d’offrir sa vie pour le service de Dieu. En marge de son exemplaire,
Scholem écrit : « unio mystica »,
ce qui implique qu’il reconnaît ici la présence d’un motif dont il tend à nier
par ailleurs l’existence dans ses publications.
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