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  Edité au Cerf, Pardès, 12/1990

         
AUTORITE ET CONTROVERSE DANS LE JUDAÏSME, INTRODUCTION


 


Par Charles Mopsik

L'histoire de la pensée juive et de sa philosophie religieuse a été marquée par une longue série de controverses. A aucun moment, depuis la fin de l'Antiquité, il n'y eut unanimité entre ses principaux acteurs. Et les discussions, parfois très vives, n'ont pas porté sur des sujets secondaires, mais sur les éléments fondamentaux de la théologie du judaïsme. Il est aujourd'hui devenu banal de parler de la propension des écrits juifs à s'exprimer en forme de débats, de l'inclination pour les questions sans réponses et pour les réponses qui appellent à leur tour et à l'infini d'autres questions. Certains se sont fait une profession d'exalter cet aspect de l'histoire de la pensée religieuse du judaïsme, au point que l'étude des enjeux réels de ces controverses répétées a été éludée au profit de leur élévation au rang d'un fondement métaphysique. Nous assistons au triomphe médiatique de cette façon d'occulter les faits d'histoire de la pensée de la religion en même temps que d'autres porte-parole du judaïsme se font les apôtres d'une unité plus imaginaire ou idéale que réelle. Le dossier que nous ouvrons à présent dans Pardès n'est que le premier volet d'une série de travaux destinés à élucider les aspects les plus importants des controverses intellectuelles qui ont imposé leur propre rythme à l'évolution des idées. Les controverses philosophiques ou théologiques, les conflits d'interprétation ne sont pas simplement les fruits spontanés d'une essence éternelle. Ils ont une épaisseur littéraire, un ancrage culturel, répondent à des intérêts divergents qu'il est nécessaire d'évaluer patiemment. Il est arrivé parfois que ces conflits dépassent le stade de la controverse et débouchent sur la naissance de mouvements hétérodoxes, hérétiques, schismatiques, voire sur l'émergence de nouvelles religions. Dès son origine historique, le peuple d'Israël apparaît  comme la fédération de plusieurs clans familiaux, de plusieurs groupes de nomades sémites, liés entre eux par un but commun, par des alliances, mais où chacun tenait à conserver, jusqu'à un certain point, un degré d'autonomie religieuse. Réunion de peuplades réussissant, malgré mille résistances intérieures et face à l'adversité extérieure, à constituer un peuple doté d'une religion, puis plus tard d'un lieu de culte unique, la nation juive semble tendre vers son unité jusqu'aux schismes des royaumes d'Israël et de Juda, schismes à la fois politiques et religieux. Une fois que la totalité des Israélites finit par reconnaître l'autorité exclusive d'un même Dieu, que le culte s'est solidement implanté à Jérusalem, que des Ecritures sacrées commencent à être fixées, des guerres régionales et l'impérialisme des puissances perse et romaine contribuent à susciter une instabilité qui aboutit, vers le 1ier siècle avant J.C., à une floraison de sectes, de partis politico-religieux, au sein desquels se développe une abondante littérature. De cette effervescence religieuse, une religion nouvelle se dégage, qui n'est à ses débuts qu'une secte parmi bien d'autres et c'est ainsi que le christianisme se  détache peu à peu d'un milieu juif tourmenté. Après la destruction du Temple de Jérusalem, après la guerre meurtrière menée par Bar Kokhba contre l'occupant romain, les principaux chefs des élites juives renoncent au caractère territorial du culte et élaborent une pratique et un discours qui s'avérèrent capables de transporter la religion nationale en des lieux d'exil et de l'y maintenir longtemps. C'est ainsi que naît la littérature rabbinique, composite dans sa forme et son contenu, mais suffisamment ouverte aux diverses tendances et conceptions théologiques pour constituer la base d'un consensus qui finira, à l'issue de plusieurs siècles, par s'imposer comme le centre d'autorité principal. Ce pôle d'équilibre et de référence sera contesté par un groupe, les Karaïtes, qui, jaloux de son autonomie, aura sa propre histoire à partir du VIIIe siècle. Les succès de la philosophie susciteront à leur tour mille disputes.


Si la vision d'une histoire des croyances et des idées religieuses en milieu juif comme succession de conflits n'est pas une vision fausse, elle ne doit pourtant pas masquer les forces convergentes qui ont, malgré des oppositions parfois farouches, maintenu l'unité d'un ensemble national-religieux dans des conditions souvent dramatiques. Par-delà les nécessaires analyses historiques et la critique des sources, le secret de ce qui fait l'unité de la religion juive, dans les consciences de ses adeptes comme dans celui des spectateurs extérieurs, demeure une interrogation majeure qu'il appartient aux philosophes et aux théologiens de tenter de percer. Dans les articles du dossier de ce numéro de Pardès, comme dans ceux des dossiers consacrés à cette question qui suivront, ce sont des analyses fines de moments conflictuels ou d'affrontements entre exégètes, interprètes anciens ou modernes, savants contemporains, discours d'un camp au sujet du camp opposé ou sur lui-même dans son opposition à l'autre, conflits des pratiques religieuses ou entre communautés, qui seront les objets d'étude privilégiés et les sujets d'interrogation érudite. Approcher les luttes et les contradictions dans un souci constant de clarification est l'acte essentiel qui seul peut avoir la force pacifiante indispensable à la connaissance de soi et du monde. Car, l'origine des conflits et des disputes étant oubliée, voire censurée, les conflits persistant tendent à devenir des affrontements éternels. Ainsi se perpétuent des haines tenaces, des aversions irraisonnées, ainsi deviennent irrationnelles et délirantes des controverses, qui dépourvues de fondements précisément connus et reconnus, rigoureusement décrits, se creusent en fossé ou s'effondrent d'un mouvement massif et mécanique, toutes les parties pêle-mêle.




 
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