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Traduit, introduit et annoté par Charles Mopsik
Les textes qui suivent devaient figurer dans l'introduction de cet
ouvrage, mais ils en ont été retirés par l'éditeur pour alléger le
volume. Ils sont publiés ici tels qu'ils devaient apparaître dans
l'introduction, sans changement ni addition. Leur caractère parfois
fragmentaire tient au fait qu'il ont été extraits de leur contexte.
Le caractère volumineux de ses écrits, la masse importante de lecture
et d'étude qu'elle implique, les longues séances d'étude des mystères
de la cabale, l'enseignement qu'il devait prodiguer à quelques
disciples, la laborieuse besogne de copie manuscrite de ses ouvrages,
la vie religieuse quotidienne et ses prières nombreuses et d'autant
plus longues qu'elles étaient accomplies suivant les méditations
cabalistiques adéquates, tout cela constituait une vie de type
monastique, mais à la différence des spirituels et des mystiques
chrétiens contemporains, il avait femme et enfant, et cette charge
familiale l'a très probablement amené à faire cette réponse à une
épouse dont la complaisance et la compréhension était soumise à rude
épreuve et touchait à ses limites. Que celle-ci ait ensuite voulu
naïvement redonner à son défunt mari la gloire dont il s'était dessaisi
à ses yeux, à défaut de pouvoir tirer quelque argent d'un texte
original qu'elle ne possédait pas, et qu'elle ait répété
consciencieusement, sans savoir que ses propos passeraient à la
postérité, la réplique que Moïse de Léon improvisa sur le moment pour
qu'elle le laisse en paix, voilà une hypothèse tout à fait
vraisemblable.
Pour faire face à ces deux exigences, souvent contradictoires, il
fallait composer et, au lieu de devenir ermite et d'abandonner les
siens, Moïse de Léon préféra apaiser l'irritation de son épouse par des
paroles conciliantes. Adresser des propos conciliants à son épouse est
d'ailleurs un thème fréquent dans le Zohar et la littérature
cabalistique de cette époque. Ce n'est sans doute pas un conseil
théorique et sans incidences sociales.
Comme la personnalité et l'œuvre de Moïse de Léon sont encore très peu
connues du public francophone, avant d'aborder plus en détail les
questions relatives au Sicle du Sanctuaire, il importait d'en présenter
une biographie et une bibliographie commentée.
La célébrité du Zohar contribue sans doute à obscurcir la pensée personnelle de son auteur supposé.
L'absence de la cabale dans les présentations contemporaines de la
pensée médiévale résulte de ce désintérêt. Il est vrai que quelques
tentatives ont été entreprises, mais elles n'ont suscité que
désapprobation et dépit de la part des chercheurs (1). Ces tentatives,
certes courageuses, pèchent non seulement par un déficit patent en
matière philologique, mais, impatientes d'énoncer la " vérité "
théorique des textes qu'elles étudient, elles esquivent les difficultés
et ont moins le souci d'exposer la pensée des auteurs considérés que de
développer leur propre théorie sur ce qu'est la cabale et ses contenus
spéculatifs.
Peut-être que la condition historique des Juifs au Moyen Âge invitait à
penser l'être en terme de retard, d'attente, de non accomplissement
immédiat. A la différence de leurs contemporains latins (ou arabes),
leur condition dans le monde n'était pour eux que transitoire, ils
vivaient le temps de façon très différente ; être pour eux se déclinait
plutôt futur qu'au présent.
Pithey Ché'arim, Tel Aviv, 1964, p. 3b-4a :
"L'énergie de cette rétraction et de ce retrait produisit un espace et
un socle pour toutes les créations de façon qu'elles puissent entrer
dans le cadre de l'être-là et de l'existence, telles qu'elles sont
maintenant. Or toute l'existence correspond à la définition d'un point
et d'un centre par rapport à la lumière du Eyn Sof en elle-même qui
l'environne de tout côté. L'intention en cela est la suivante : comme
nous voyons dans un cercle que son point médian qui est le centre est
le plus petit qu'il se peut être, et qu'il n'est que théorique
(mahchaviit) seulement, qu'il n'est pas perceptible par le sens de la
vue, car s'il était visible et limité il n'aurait pas été appelé point,
parce qu'alors il lui aurait été possible d'être divisé en diverses
parties, et tout centre n'est que l'origine des rayons qui s'étendent à
partir de lui de tout côté et n'est accessible que par la pensée, comme
le disent les experts en métrologie, et ainsi nous dénommons toute
l'existence créée avec une mesure et une limite “point médian central”
seulement, car en ce qui Le concerne, béni soit-il, ne convient ni
limite, ni mesure ni dimension, Dieu préserve ! C'est là que se situe
la différence entre eux. Car le Eyn Sof est sans limite et sans mesure,
alors qu'eux ont une limite et une mesure. Ils n'ont strictement aucune
commune mesure par rapport au Eyn Sof."
Si le Point primordial est l'origine de tout ce qui existe et que,
procédant d'une source unique, tout en dérive substantiellement,
certains ont été amenés à considérer que le fond de la doctrine de ce
cabaliste est une sorte de panthéisme moniste ou mystique. Cette
question a été abordée naguère par Gershom Scholem, qui déclare :
"L'auteur du Zohar incline vers un panthéisme ; ce fait est même rendu
plus clair dans les écrits hébreux de Moïse de Léon, mais on
chercherait en vain un aveu de panthéisme au-delà de quelques vagues
formules et de quelques allusions à une unité fondamentale de toutes
choses, de toutes les étapes et de tous les mondes. En résumé, son
langage est celui d'un théiste et il faut de la pénétration pour amener
à la lumière ses intentions cachées et son tréfonds panthéiste (2)". Il
nous semble cependant que les qualifications de "théiste" comme de
"panthéiste" ne sont guère appropriées pour qualifier l'orientation
théologique de Moïse de Léon. Le mot "panthéiste" a été créé en 1705
par Toland, et il apparaît presque toujours dans un contexte polémique
(3). Il s'agit d'un qualificatif daté qui obscurcit les conceptions
qu'il prétend éclairer en plaquant sur elles une étiquette brumeuse.
Relancer ici ce genre de polémique n'aurait guère de sens.
Sur mythos et logos dans la cabale zoharique.
Moïse de Léon et le Zohar sont considérés comme de grands créateurs de
mythes par la recherche actuelle, qui se réfère aux images vivantes,
personnelles, aux interactions entre sefirot dépeintes en termes
figuratifs d'un anthropomorphisme particulièrement audacieux. Maurice
Kriegel traduit parfaitement l'état d'esprit qui règne dans les études
académiques contemporaines de la cabale quand il déclare que les
cabalistes "se détournent de l'abstraction pour recourir à la
fabulation mythologique" (4). Le concept de "mythe" est à dire vrai
d'une extrême imprécision. Pour un regard de philosophe, le mythe
"désigne tout point de doctrine injustifié et injustifiable visant à
modifier le comportement de l'être humain par la prescription d'une
hiérarchie de valeurs" (5). Rentrent par exemple dans cette définition,
suivant ses auteurs, la survie de l'âme après la mort selon le Phédon
de Platon, l'inconditionné de Kant, l'appel de l'être de Heidegger. Les
anthropologues et les ethnologues débattent sur le sens de ce terme.
Les historiens des religions aussi (6). Michel Tardieu évoque le mythe
"systématisé et rationalisé" des gnostiques de la fin de l'Antiquité et
veut montrer que dans ce contexte, "le mythe est aussi pensée", en se
référant aux travaux de Jean-Pierre Vernant sur la Grèce antique (7).
Gershom Scholem se réjouit du caractère nettement affirmé du mythe dans
la cabale par contraste avec ce qu'il considère comme son évanescence
dans la littérature biblique (8). Il n'est guère de notion plus
difficile à appréhender que celle de "mythe" et il n'en est pas qui
soit à ce point utilisée à toute occasion et sans aucune précaution
dans l'étude de la cabale aujourd'hui. A quels types d'exposés faut-il
réserver ce qualificatif ? A ceux qui se déploient sous forme narrative
davantage qu'à ceux qui s'expriment de façon plus abstraite ? La
"Grande Mère" dont parle Moïse de Léon dans le Sicle du Sanctuaire pour
désigner la sefira Binah (l'Intelligence) est-elle une figure
"mythique", fondamentalement différente de la notion abstraite de "Voix
inaudible" ou de "Point théorique" ? Les rapprochements éventuels avec
des appellations de figures divines archaïques suffisent-ils pour
légitimer l'apposition de l'étiquette savante de mythe sur de telles
expressions ? Est-il correct de considérer comme équivalentes figures
de discours et figures divines ? Système rhétorique et représentations
religieuses ? Caractérisons en quelques phrases le discours des
cabalistes : celui-ci tend d'abord à révéler, par l'exégèse, l'ordre
caché derrière le désordre apparent des récits bibliques, la logique
des narrations rabbiniques aux apparences fantaisistes. Le récit n'est
cependant pas pour eux opposable à la logique. A leurs yeux, la logique
du système théosophico-théurgique le structure de façon si
contraignante qu'il est possible d'en extraire des éléments de la
moindre lettre, du plus anodin des versets. En un mot, logos et mythos
ne font pas chambre à part. Ils ont parti lié et mènent une vie
commune. L'un renvoie sans cesse à l'autre et chacun grâce à l'autre
devient un peu plus intelligible, s'inscrit plus concrètement dans une
expérience de pensée qui est simultanément une expérience visionnaire.
Cette intelligibilité est pour cette raison toujours provisoire,
branlante, tâtonnante. Narration rationalisée et rationalité
narrativisée sont indissociables. Ce qui a un double effet relativiste
: le récit canonique en tant que tel, détaché de son plan de
significations théosophiques, est regardé avec dédain et Moïse de Léon
le considère comme de valeur identique et même inférieur aux récits
historiques profanes et autres légendes, fabliaux et contes de fées
(9). L'exposé logique et les raisonnements en tant que productions
élaborées par une intelligence humaine particulière d'après
l'expérience ordinaire et l'observation des phénomènes extérieurs ne
valent guère davantage, ils ne sont que des "caprices" de la pensée.
Comment alors accéder au sens vrai des Écritures, comment dé-profaniser
le récit canonique et comment d'autre part, "intelliger" le système
théosophique des sefirot ? Quand Moïse de Léon aborde cette dernière
question, il se réfère à la "méditation du cœur", opération mentale qui
n'est pas réductible au raisonnement logique et qui ne doit pas être
non plus assimilée à la représentation mythique :
"Sache que ces choses étant encloses et dissimulées dans le secret de
Son être (havayato), l'homme doit scruter les méditations (ra'ayoney)
de son cœur car l'énigme de Son unité, qu'Il soit exalté, il n'est pas
capable de la fixer dans sa raison selon le secret de la Sagesse comme
les autres choses saisissables, telle la lumière du soleil qui fait
miroiter sa splendeur à travers les eaux courant vers son feu. [...] Il
nous faut savoir que parce qu'Il est, béni soit-il et exalté soit-il,
très élevé et que son fond est insondable, les pensées s'épuisent à Le
connaître, aussi sera-t-Il reconnu dans les méditations des cœurs
(10)". L'expérience mentale de l'insondable, aussi fugace que des
scintillements de lumière sur les vagues d'un océan agité est également
une expérience de vision, une sensation intérieure qui n'est
communicable qu'au moyen d'une rhétorique particulière, ce que certains
chercheurs s'entêtent à appeler un "discours mythique". La rhétorique
du texte canonique est décryptée par les cabalistes au moyen d'une
autre rhétorique, plus directement accessible, plus transparente au
modèle auquel elle renvoie. Il est absurde de dire que l'auteur ou les
auteurs du Zohar et les cabalistes qui gravitaient autour de lui ont
forgé de nouveaux mythes au moyen des symboles qu'ils emploient pour
dépeindre le monde divin et pour interpréter la Torah. Les images les
plus " mythiques " qu'ils avancent au gré de la recherche contemporaine
sont les éléments d'une rhétorique qui tente à travers eux de désigner
un champ inaccessible à l'observation ordinaire, au discours rationnel
et à la pensée hypothético-déductive. Leur fonction n'est pas de
solliciter et d'enrichir l'imagination mais d'ouvrir la voie à une
expérience de pensée qui ne peut se figer dans un concept et qui
réclame la participation de l'imagination aussi bien que la faculté
d'abstraction. Cela est si vrai que la cabale est devenue de plus en
plus, à partir du XVIe siècle, une sorte de formalisme quasi
mathématique. L'objectif assigné par Moïse de Léon dans le Sicle du
Sanctuaire à la rhétorique dont il fait usage est d'autoriser une
échappée hors des limites de la raison, afin de porter un regard, aussi
bref soit-il, par derrière le "mur". S'il use pour ce faire de tropes
qui s'apparentent à des mythèmes, il leur assigne une fonction
assimilable à celle de mathèmes. Par une curieuse ironie, un instrument
rhétorique efficace tentant de donner accès aux "mathèmes du cœur" est
confondu aujourd'hui avec une "narrativité mythique" régressive. Alors
que c'est précisément contre la réduction du texte canonique à sa
narrativité superficielle, contre la politique de son historicisation
par l'interprétation littéraliste qu'est tendu l'effort exégétique de
la cabale zoharique. Traiter comme d'une mythologie la rhétorique de la
cabale théosophique est une façon de l'édulcorer, d'en obscurcir la
démonstration magistrale : le récit biblique en lui-même n'a rien de
"sacré", rien qui le distingue de tous les autres récits. Sa dimension
religieuse ne réside pas dans son histoire ni dans les institutions qui
lui ont attribué un rang canonique dans le domaine du croire. Elle
dépend totalement de la façon dont il est reçu, elle est strictement
subordonnée au fait de son inscription dans une tradition humaine.
L'exégèse cabalistique dé-mythologise le récit biblique, l'arrache à
l'anecdotique où le retiennent les lectures fondamentalistes.
Le passage de Moïse de Léon sur les "méditations du cœur" mérite à cet
égard un examen plus précis. Il contient l'évocation d'une expérience
de contemplation décrite dans plusieurs autres textes du même auteur et
en particulier dans le Sicle du Sanctuaire. Les réverbérations de la
lumière sur de l'eau ondoyante ou les lueurs qui apparaissent derrière
les paupières quand les yeux sont fermés et tournent dans leur orbite
représentent par analogie les mouvements incessants et insaisissables
des réalités spirituelles, qu'elles appartiennent au domaine du Char
céleste, à savoir au domaine archangélique ou qu'elles relèvent
directement du monde divin des sefirot (11). Moché Idel a raison
d'insister sur le fait que ces phénomènes soulignent non pas seulement
le caractère abscons du monde divin mais sur son caractère "dynamique
et changeant" (12). Il nous semble toutefois que ce " dynamisme " n'est
qu'un caractère secondaire et qu'il est possible de tirer davantage des
passages en question. L'élément principal nous paraît être non pas le
caractère dynamique des entités spirituelles, mais leur caractère
erratique, turbulent, leur imprévisibilité (13). Ce n'est pas en soi le
fait que ces entités se déplacent, sont emportées dans un processus de
transformation continu qui intéresse Moïse de Léon et le Zohar, mais
que ce mouvement est semblable à l'agitation tumultueuse d'un fluide ou
d'une lumière qui ne peut en aucun cas être déterminé à l'avance. La
notion de turbulence est plus pertinente que celle de dynamisme pour
qualifier le spectacle qui fascine ce cabaliste. Nous avons déjà
indiqué plus haut qu'un dynamisme implique un certain coefficient de
déterminisme, alors que c'est précisément le caractère non-déterministe
du phénomène qui retient l'attention du cabaliste. La circulation de
l'influx divin existentiateur au sein du système des sefirot est
essentiellement erratique, imprédictible et turbulent. Il ne peut par
conséquent être appréhendé au moyen d'un discours logique et déductif
valable pour décrire des phénomènes stables, prédictibles,
déterministes, qui évoluent mécaniquement. Le symbolisme élaboré pour
communiquer ces processus spirituels foncièrement erratiques dut
épouser voire imiter leur comportement turbulent. Un des moyens pour
simuler cette turbulence a été l'adoption d'une syntaxe aussi
désarticulée que possible, à la fois répétitive et en constant
renouvellement, associant, dissociant et recombinant sans trêve images,
notions, versets bibliques, suites de lettres. De même les symboles,
comme éléments lexicaux de cette syntaxe, ont été pris dans cette
cavalcade tumultueuse et ils ne sont pas utilisés pour maîtriser
intellectuellement les flux du processus existantiateur, pour en
représenter un aspect déterminé et figé mais ils servent de coordonnées
fictives, de photographies instantanées de trajectoires aux cours
imprévisibles et sont par conséquent et nécessairement toujours flous,
approximatifs, évanescents. Ils ne ressemblent en rien à ce que l'on
appelle ordinairement une " figure mythique " car celle-ci doit avoir
le temps de se cristalliser dans l'imagination, elle doit
nécessairement être stable et représente une réalité appartenant à un
passé fondateur ou à un présent éternel. Les symboles théosophiques de
la cabale sont au contraire les reflets ou les scintillements des
éclats d'une réalité turbulente qui, si elle évolue dans une direction
temporelle déterminée, n'est pas elle-même déterministe dans ses
mouvements et nul ne peut prétendre en rendre compte de façon
rigoureusement exacte. Le caractère indicible du Principe qui précède
le système des sefirot et le processus de son organisation retentit sur
ce dernier et le traverse de part en part, si bien que le discours qui
en décrit les différentes phases et les différents aspects ne peut
être, ni en fait ni en droit, transparent à lui-même, simple et sans
opacité. C'est pourquoi les exposés des cabalistes tendent à traiter le
symbolisme dont ils se servent comme un formalisme
linguistico-mathématique plutôt que comme un récit mythique systématisé
ou rationalisé.
Le Sicle du Sanctuaire, comme d'autres écrits qui gravitent autour de
l'école zoharique, atteste que les cabalistes ne se sont pas détournés
des "abstractions". Ils ont conçu celles qui leur permettaient de
pénétrer le domaine élevé des réalités spirituelles et divines comme
n'appartenant pas exclusivement à la sphère mentale ou cérébrale, car
pour eux l'acte de penser implique aussi le corps et ses émotions dont
le centre organique est le cœur. L'expression "méditations du cœur"
qu'emploie Moïse de Léon traduit non pas le refus de l'abstraction et
de la rationalité et la fuite dans une imagination créatrice de mythes,
mais une façon de pensée propre au cercle d'intellectuels auquel il
appartient, qui tentent de forger une voie d'accès à la connaissance du
Pardés sous la forme d'une littérature qui permet par ses artifices
rhétoriques de communier avec un objet insaisissable et une réalité
turbulente. Si certains de ces artifices ont l'apparence de mythes, il
s'agit dans tous les cas de récits cryptiques qui appellent un décodage
précis renvoyant à des "abstractions" dont seules les "méditations du
cœur" peuvent pressentir les incessants déplacements.
Notes
1. Voir par exemple Henri Serouya, La Kabbale, Grasset, Paris, 1947.
2. Les grands courants de la mystique juive, p. 238.
3. Voir Dewey : "Ce terme a un sens large et lâche, spécialement dans
les écrits de controverse, où l'odium theologicum y est attaché ; dans
cette acception, on l'applique presque à tout système qui dépasse le
théisme courant ou reçu, dans sa théorie de la relation positive et
organique entre Dieu et le monde" (cité dans A. Lalande, Vocabulaire
technique et critique de la philosophie, Presses Universitaires de
France, Paris, 1947, p. 716, article "panthéisme").
4. Voir Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l'Europe méditerranéenne, Hachette, coll. Pluriel, Paris, 1994, 2e éd., p. 8.
5. Luc Brisson et F. Walter Meyerstein, Puissance et limites de la raison, Les Belles Lettres, Paris, 1995, p. 139.
6. Une définition anthropologique classique en a été donnée par Marcel
Mauss : "Le mythe est une histoire du dieu, est une fable, avec son
invention et sa morale [...]. Le mythe proprement dit est une histoire
crue entraînant en principe des rites. Le mythe fait partie du système
obligatoire des représentations religieuses, on est obligé de croire au
mythe. [...] Le mythe se passe dans l'éternel, ce qui ne veut pas dire
que le mythe n'est pas localisé dans le temps et dans l'espace : on
sait que Kronos a donné naissance à Jupiter, qu'il était le premier ;
mais vis-à-vis des hommes, les dieux sont tous dans l'éternité. [...]
Le mythe, même lorsqu'il raconte des événements précis, se place dans
une époque mythique qui est toujours une époque différente de celle des
hommes" (Manuel d'Ethnographie, Payot, Paris, 1e éd. 1947, 2e éd. 1967,
p. 250-251. Pour l'histoire des religions, voir par exemple Mircea
Eliade, Aspects du mythe, Gallimard, Paris, 1963, p. 14 et suiv.
7. Trois mythes gnostiques, Études Augustiniennes, Paris, 1974, p. 21 et note 22 sur place.
8. La mystique juive, les thèmes fondamentaux, Le Cerf, 1985, p. 151-154.
9. Voir Questions et réponses, p. 31. Et voir Zohar III, 152a. Pour une
mise en perspective historique de ces passages, voir Maurice Kriegel,
Les Juifs à la fin du Moyen Âge dans l'Europe méditerranéenne, cité
plus haut note 4, p. 170 et suivantes.
10 Fragment sans titre, fol. 366a.
11. Voir Le Sicle du Sanctuaire, infra, p. 000.
12. “Ce qui est en jeu dans les textes de Moïse de Léon ou dans ceux du
Zohar, n'est pas l'abscondité essentielle des entités supérieures, mais
l'incapacité humaine quant à saisir un processus dynamique, visible
mais toujours changeant. Cette teneur spéciale de la théosophie
zoharique eut des répercussions importantes sur la centralité du
symbolisme lié à ces processus dynamiques ; le point de mire du
symbolisme se déplaça, comme nous le verrons, de la réflexion
symbolique des sefirot à la réflexion des processus spirituels - d'où
la qualité dynamique du symbolisme zoharique. Comme ce type de
symbolisme exerça une très grande influence, il marqua d'un caractère
unique le symbolisme cabalistique en général.” (Kabbalah, New
Perspectives, New Haven, 1988, p. 140-141.
13. Déjà le Livre de la Création parlait de "l'aspect de foudre" des
sefirot, pour désigner à la fois l'extrême fugacité de leur vision et
l'imprévisibilité de leur mouvement : "Dix sefirot belimah (sans quoi),
leur vision est comme l'apparence de l'éclair et leurs trajectoires
sont sans terme" (1:6).
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