retour.jpg

 
Colloque du 22 mai 2002, 9h30-10h15 : « L'INSPIRATION, le Souffle créateur dans les arts, littératures et mystiques du Moyen Âge européen et proche-oriental" Paris, la Sorbonne, 22-25 mai 2002. Parution des Actes : Collection Kubaba - Série Actes Université de Paris 1, sous la direction de Claire Kappler, éd. L'Harmattan, 2006. Article, édité dans "Les Chemins de la cabale, vingt cinq études sur la mystique juive " de Charles Mopsik, éd. l'Eclat, 2004.
           

SOUFFLE PROPHETIQUE ET INSPIRATION MYSTIQUE DANS LA LITTERATURE JUIVE, DE LA BIBLE  AU MOYEN ÂGE


 


 Le titre de cet exposé est évidemment si exagérément ambitieux que personne n’a pu imaginer qu’il était dans notre intention de retracer ne serait-ce que sommairement une histoire qui, plongeant ses racines dans la haute Antiquité, déboucherait sur le Moyen Âge. Ce n’est que sur quelques aspects singuliers de la relation entre prophétisme et mysticisme que nous nous pencherons. Nous nous en tiendrons exclusivement ou presque à la littérature hébraïque, et nous suivrons quelques unes de ses évolutions. Nous serons amenés à citer en traduction divers textes, dont certains sont très connus et d’autres beaucoup moins. La plupart des traductions seront les nôtres.

 

Quelques mots d’abord sur un point dont nous n’allons pas traiter mais qu’il peut-être utile d’avoir toujours en tête. Bien avant de désigner dans la Bible l’inspiration prophétique, dans son sens premier, rouah désigne la « distance », signifie «  être au large, spacieux ». C’est « l’ambiance » qui entoure l’homme, qui lui est extérieur et lui permet d’étendre son sentiment d’exister au monde qui l’entoure. Ne plus être à l’étroit, ne plus se sentir écrasé, serré, oppressé, retenu. C’est un antonyme « d’angoisse ». Ce n’est que dans des sens dérivés qu’il a pris la signification de souffle, vent, et plus tard encore d’esprit. Les prophètes sont avant tout les hommes de la « Parole de Dieu » et non de son « esprit » - ou de son souffle -. Quand Dieu prend de la rouah qui était sur Moïse et la répand sur les 70 anciens, qui doivent exercer la fonction de juges et de chefs du peuple, ce n’est pas l’« esprit » divin qu’il répand, mais la puissance vitale de Moïse, sa liberté d’action, qu’il leur transmet et qui leur permettent de prophétiser momentanément (voir Nombres 11:25 et suivantes), sans toutefois devenir des prophètes. Le souffle ou l’esprit de Dieu concerne en effet en premier lieu les rois et les juges et non les visionnaires. Ce n’est qu’à l’issue d’une longue évolution que nous ne pouvons retracer ici, dont le point culminant est le livre d’Ezéchiel, que la rouah deviendra un caractère essentiel de la prophétie. Mais ce qu’il est important de retenir dès maintenant, pour comprendre les textes que l’on va mentionner, c’est que le mot rouah joue le rôle de signifiant vide, un de ses sens dans la Bible est d’ailleurs « le rien, le néant, la nullité ». Dans le fond, c’est moins le souffle, l’inspiration, ni même le vent dans un sens très concret, que ce « quelque chose » d’impalpable et d’invisible que l’on ne peut définir ou cerner avec précision, qui est ci et ailleurs en même temps, reliant et séparant à la fois ciel et terre, qui peut être au repos, apaiser et délivrer mais aussi s’agiter, devenir redoutable, déraciner, faire volet en éclat. L’inspiration, si on l’entend comme un contact avec cette rouah, peut être une tentative d’intériorisation de cette énergie incontrôlable, une confrontation avec cet espace de néant qui fluctue sans cesse de façon imprévisible. Nous allons voir bientôt quelques exemples de la façon dont cette confrontation a été présentée par deux mystiques juifs du XIIIe siècle.

 

Mais d’abord encore quelques rappels historiques afin de situer un peu mieux nos mystiques dans la longue histoire religieuse du judaïsme. Très rapidement, évoquons en quelques lignes les conceptions de la fin de l’Antiquité d’abord des sectaires de Qumran puis des rabbins du Talmud, plus tardifs et qui sont surtout les héritiers des pharisiens.

 

Dans le judaïsme rabbinique et les targums l’Esprit de Dieu reçoit souvent le titre « d’esprit prophétique ». Mais cette appellation ne se trouve pas dans les écrits retrouvés à Qumran comme telle. Dans un texte fragmentaire, les paroles de l’alliance sinaïtique sont considérées comme « les paroles de ton esprit saint ». A la suite d’Is 61, 1, Qumrân envisage une onction métaphorique pour exprimer l’intervention de l’esprit divin sur les prophètes « oints de l’esprit de sainteté » et comme « voyants de vérité ». L’esprit de sainteté est l’agent par lequel les prophètes ont pu entrer dans le secret divin. Et recevoir communication du mystère du plan divin. Mais « l’esprit saint » joue essentiellement le rôle de purificateur, qui nettoie de la souillure du péchés et des égarements dans les écrits de Qumran, et il est beaucoup moins la récompense de l’accomplissement fidèle de la Loi. Rappelons que les écrits de Qumran utilisent très souvent l’expression « esprit saint » (rouah qodech), alors que cette formule est une rareté dans la Bible hébraïque (seulement deux fois, dans Is. 63 et Ps. 51), à la différence des écrits plus tardifs du judaïsme alexandrin et judéen. Malgré l’importance donnée à la révélation de ces secrets dont il a la charge, le Maître de justice, figure dominante des sectaires de Qumran, ne reçoit jamais le titre de prophète. Selon un adage rabbinique (Yoma 9b), « l’esprit de prophétie s’est retiré d’Israël depuis le temps d’Aggée, de Zacharie et de Malachie ». Mais on croit à Qumran que l’esprit de connaissance (rouah déah’) est donné aux membres de la communauté grâce à l’enseignement du Maître. Malgré l’importance flagrante du courant apocalyptique dans les écrits des membres de la communauté de Qumran, la figure du prophète ou de l’inspiré laïc reste à l’arrière-plan, à l’opposé du personnage du grand-prêtre qui joue un rôle décisif.

 

Dans la littérature rabbinique, si les prophètes appartiennent à un passé prestigieux, les « sages » ont pris leur place et sont les seuls interprètes autorisés de la Parole divine telle qu’elle est consignée dans l’Ecriture ou la Tradition orale. Néanmoins, la fait prophétique, et non plus des personnages de prophètes, continue à être reconnu et cultivé. Ainsi, selon un adage bien connu, « depuis la destruction du Temple, la prophétie a été donnée aux enfants ».  (Baba Batra 12b). Ce qui signifie concrètement que de manière involontaire, des enfants peuvent énoncer des propos divinement inspirés et qu’il faut savoir surprendre ces énoncés dans leurs discours. Prophétie impromptue et spontanée, elle advient à l’insu de ceux qui en sont les vecteurs inconscients.

 

Mais cette situation ne demeura guère du goût des mystiques médiévaux. Si les enfants étaient encore en mesure de prophétiser, ne serait-ce qu’à leur insu, après la destruction du Temple et la dispersion des juifs qui s’ensuivit, beaucoup d’entre eux considéraient qu’ils pouvaient et même qu’ils devaient tout mettre en œuvre pour retrouver la capacité d’obtenir des révélations divines et des visions, situation qui selon eux, est la condition « normale » de l’homme parfait. Retrouver la capacité prophétique, réapprendre à « respirer » l’esprit saint, tel était la tache que se donnaient plusieurs des plus grands mystiques juifs du Moyen Âge. Nous nous en tiendrons dans notre rapide exploration aux mystiques ou cabalistes espagnols et à leurs successeurs immédiats, mais cette orientation caractérise aussi bien les philosophes mystiques qui vivaient dans le monde islamique que les piétistes qui vivaient dans le monde germanique.

 

Quelques textes.

 

Abraham Aboulafia :

La cabale est la seule « science » qui mène à l’esprit saint, à la prophétie.

 

)51( אגרת שבע נתיבות התורה

הנה כבר כתבתי לך ולדומים לך קצת דברים מורים על מקצת עניני הקבלה ואיך היא חכמה מביאה לידי רוח הקדש לבדה. ולא יתכן ששום חכמה אחרת תהיה מביאה אליה בשום צד. ואם כן הפרש גדול מאד יש בין חכמי הקבלה הנבואית ובין חכמי המחקר כולם, במדרגת ההשגה האלהית. עם היות אלה ואלה מכונים למצוא האמת, וישתתפו מצד החקירה ויבדלו מצד המדרגה. ראה מה הבדלם ושתופם, ומשני הענינים תתעורר אל הנכבד:

« J’ai déjà écrit pour toi et pour ceux qui te ressemblent quelques éléments qui se rapportent à plusieurs des thèmes de la cabale, en particulier comment elle est la seule sagesse qui mène à l’esprit saint. Il est impossible qu’une autre science y conduise d’aucune façon. Ainsi donc il existe une grande différence entre les sages de la cabale prophétique et tous les sages de la philosophie dans le degré de perception divine [dont ils sont capables]. Bien que les uns comme les autres soient motivés pour trouver la vérité, ils sont associés dans la recherche mais distingués en degré. Vois ce qui les sépare et ce qui les unis, à partir de là tu saisiras le plus important. » Iggeret Sheva netivot ha Torah “Epitre sur les sept sentiers de la Torah”

 

)7( ספר החשק - חלק ב סימן ב

ולא תצטרך אז בזה להטריח עצמך לבקש ספרים או חברים או רבנים ללמדך מה שיחסר לך מן החכמה, כי רבך הוא לבך, ואלהיך הוא בקרבך, ושאלהו בכל הענינים, והוא יענה לך בכל ענין וענין כראוי אהבת חשק שחק יצאה מהשם, מיראתו תעשה עלי ולפיך הסיעהו, וסיבבתו חבתך גלגלי:

 

“Tu n’auras plus besoin alors de t'éreinter pour quérir des livres, des compagnons d’étude, ou des maîtres afin qu’ils t’enseignent ce que tu ignores de la sagesse. Car ton maître c’est ton cœur, et ton Dieu est à l’intérieur de toi, questionne-le sur tous les sujets et il te répondra chaque fois de façon adéquate. Tu as aimé le désir [de Dieu], un rire est sorti de Dieu, de sa crainte tu as fait un pistil et il est venu en aide à ta bouche, autour de lui ton affection est une sphère. » Sefer Shahar ha Hesheq, Le livre de la Porte du désir.

 

Le prophète dialogue avec lui-même comme autre. L'homme imaginaire, clé de la prophétie :

)4( ספר החשק - חלק א סימן ב

ואחר עשותך כן תכוין פניך כנגד השם [הנזכר], וחשוב כאלו הוא איש אחד, ועומד לפניך ומחכה ממך שתדבר [עמו] והוא מוכן לענות על כל מה שתשאלהו, ואתה אומר דבור והוא עונה, וזה הדרך לכה בו. והחל בכוונה שלמה לכבוד השם יתעלה ואמור תחלה, תכון תפלתי קטרת לפניך משאת כפי מנחת ערב (תהלים קמא ב'), ושא עיניך למרום, ושא את כפיך הימנית והשמאלית כדמות נשיאות כפים של הכהן, שהוא מחלק חמש אצבעותיו מפה וחמש מפה, והשתים הקטנות דבקות ושתים הקרובות להן ג"כ דבקות וחלוק באמצע והגודל פשוט לבדו, וכך לשתי ידיך בצורה זה, ולשונך תכריע בנתים כלשון הפלס:

ואז [ואח"כ] תתחיל להזכיר ואומר תחילה, רא"ש הרא"ש באריכות הנשמה ובנחת הרבה ואח"כ חשוב כאלו [אדם] אחד העומד [לנגדך] עונה לך, וענה אתה בעצמך בשנוי קול, שלא תדמה העניה אל השאלה, גם לא תאריך בעניה כלל אבל אמור אותה בנחת ובישוב ואז תזכיר בעניה אות אחת של השם כפי מציאותה,

 

« Que ton visage soit orienté face au Nom invoqué, et considère comme s’il y avait un homme qui se tient devant toi, attendant de toi que tu lui parles, et il est prêt à te répondre sur tout ce que tu lui demanderas : toi tu prononces une parole et lui il répond. Telle est la méthode que tu dois suivre. Commence, en t’y concentrant pleinement, par glorifier Dieu, qu’il soit exalté, et dis d’abord : ‘Que ma prière se présente devant Toi comme l’encens, l’élévation de mes mains comme l’offrande du soir’ (Ps. 141 :2). Lève les yeux vers les hauteurs, et lève ta paume droite et gauche à la façon de l’élévation des mains pratiquée par le prêtre, qui répartissait cinq doigts ici et cinq doigts là, les deux doigts les plus petits étaient collés ensemble, et les deux doigts les plus proches d’eux étaient également collés ensemble, il y avait un espace au milieu et le pouce était étendu tout seul, ainsi pour les deux mains suivant cette forme, et ta langue fera l’équilibre entre elles comme la fléau d’une balance. Ce n’est qu’alors que tu commenceras à invoquer le Nom, et que tu diras d’abord la tête de la tête (le début du commencement du Nom) en prolongeant l’expiration et très calmement, et ensuite considère comme si un homme qui se tient en face de toi te répond, et réponds toi-même en modifiant la voix, pour que la réponse ne ressemble pas à la question. De même ne t’étends pas du tout sur la réponse, mais donne-là calmement et avec sérénité, et alors invoque, dans la réponse, une lettre du Nom telle qu’elle est ». Sefer Shahar ha Hesheq, Le livre de la Porte du désir.

 

R. Moïse de Kiev

La vision prophétique comme autoscopie ou vision de soi-autre et ni de l’Autre ni de soi-même. Texte du Chochan Sodot, R. Moïse de Kiev, fin du XVe siècle.

)8( ספר שושן סודות - אות תכה - סוד גדול כחן של נביאים המדמים צורה ליוצרה:

סוד גדול כחן של נביאים המדמים צורה ליוצרה:

כבר פירשנו במה שקדם בזה הסוד מה שנראה לנו אלא אח"כ מצאתי מאמר לקדמונים בזה ומלאני לבי לכתבו כי הוא כמבאר למה שקדם וז"ל הסיפור ההוא אמר לי החכם המשכיל כ"ר נתן ז"ל. דע כי שלימות סוד הנבואה לנביא שפתאום יראה צורת עצמו עומדת לפניו וישכח את עצמו ויתעלם ממנו ויראה צורת עצמו לפניו מדברת עמו ומגדת לו העתידות ועל סוד זה אחז"ל גדול כחן של נביאים שמדמין הצורה ליוצרה ואמר החכם אבן עזרא השומע אדם. והמדבר אדם עכ"ל. וכתב החכם אחר כמנגן על זה וז"ל ואני בכח הצירוף והתבודדות קרה את אשר קרני והאור שראיתית הולך עמי כאשר זכרתי בס' שערי צדק אמנם אראה צורת עצמי לנגד עצמי עומדת לזה לא זכיתי ולא יכולתי על זה. עכ"ל. וכתב החכם אחר כמנגן על זה וז"ל ואני הצעיר יודע ומכיר ידיעה וודאית שלא נביא אנכי ולא בן נביא אנכי ואין בי רוח הקודש ולא משתמש בבת קול כי לא זכיתי לכך ולא פשטתי את כתנתי ולא רחצתי את רגלי עכ"ז אני מעיד עלי שמים וארץ ובשמים עדי וסהדי במרומים שיום מן הימים אני יושב וכותב סוד ע"ד האמת ופתאום ראיתי צורת עצמי עומדת לנגדי ואת עצמי נעלם ממני ונמנעתי לכתוב אנה ומוכרח. עכ"ל. אמר וכן ראיתי לר"מ הנדבוני בפירוש המורה פרק מ"ו שנדחק לפרש המאמר הזה ואמר ז"ל, כל מה שראיתי מן המעיינים בספר הזה ראיתי שפירשו מדמים הצורה ליוצרה, כי ידמה הנבדל צורה אנושית. ולפי דמיונם היה להם לומר הכולל שמדמים היוצר לצורה. ואינו נפלא מהם כי לא העמיקו לעמוד על כוונת המחבר. ואני אבאר לך כוונת המחבר הר"ם ביאור פרק מ"ט, כי המלאך ייחס לו הכנף ולשי"ת הצורה האנושית, להורות יתרון הש"י על מלאכיו. כי הכנפים כלי מהיסודות ההליכה ולזה ראוי שיוחסו לשלוחים ולא לשם יתברך, ויוחס עליהם כי הם מצווים (מקבלים הציווי) ולא מצוים (נותנים הציווי). הנה אמרנו שמדמים הצורה ליוצרה. ירצה שמדמים את הצורה אשר בנפש

הנביא אשר הוא גשמי, למלאך, ליוצרה. כלומר לשי"ת. ואמר שעל דמות הכסא כמראה אדם. ודע כי אולי הצורות הרואות בנפש הנביא והראיה שר צבא ה' לא שהן נמצאות חוץ לנפש. עכ"ל. ודפח"ח ושפתיו ברור מיללו שנתן הבדל בין מלאך ובין הש"י במראות הנבואות בדמיון, ודע זה. כי זה הסוד נפלא מאוד גם אנחנו בעת חבורינו לספר הזה בהיותינו מנקדים שם המפורש בנקודת באו לעינינו דברים מפסיקין כדמות אש אדומה לעת מנחת ערב עד שנבהלנו מהם והנחנום וקרה לנו זה בחיבורינו כמה פעמים והאל ברחמיו יאיר עינינו בתורתו אנ"ס:

 

“Voici les termes du récit que m’a raconté le sage, le mystique, rabbi Nathan : Sache que le secret de la plénitude de la prophétie révélée au prophète consiste en ce qu’il voit de façon soudaine sa propre forme debout devant lui, puis il oublie son être propre et s’absente de lui-même, il voit la forme de son soi-même devant lui, dialoguant avec lui et lui dévoilant l’avenir. C’est à ce propos de ce secret que les sages ont dit : ‘Grande la force des prophètes qui identifient la forme à son modèle (formateur)’. Et le sage, rabbi Abraham ibn Ezra écrit : ‘Celui qui entend est un homme et celui qui parle est un homme’ ». Et un autre sage écrit à ce sujet en ces termes : Et moi, par le pouvoir de la permutation et à force de concentration, il m’est arrivé ce qui est arrivé avec la lumière que j’ai vue m’accompagnant [partout où j’allais] comme je l’ai mentionné dans le Livre des portes de la justice. Toutefois, la vision de la forme de mon être se tenant devant moi, je n’ai pas mérité de la voir et je n’ai pu y accéder ». Un autre sage a écrit comme une réplique à cela : « Moi, un jeune homme, je sais et je reconnais par un savoir certain que je ne suis pas prophète, ni fils de prophète, qu’il n’y a pas en moi d’esprit saint et que je n’utilise pas un écho de la voix, car je ne l’ai pas mérité, je n’ai pas défait ma cuirasse et je n’ai pas nettoyé mes pieds, néanmoins je prends à témoin le ciel et la terre et dans les cieux je prends comme témoins les êtres des hauteurs, qu’un certain jour je me tenais assis et écrivais un secret selon la voie de la vérité, quand soudain je vis la forme de moi-même se tenant debout devant moi, alors que moi-même je m’absentais de moi et je fus dans l’impossibilité d’écrire. » Il dit : De la même manière je vis rabbi Moïse Narboni expliquer dans son commentaire sur le Guide des égarés (chap. 46) qu’il avait été poussé à rédigé un commentaire pour ce passage, disant : Tout ce que j’ai vu des sujets développés dans ce livre, c’est que l’explication qu’il donne identifie la forme à son modèle, car il identifie la réalité séparée à la forme humaine. […] Je vais t’expliquer l’intention de l’auteur, commentant le chapitre 49 : On attribue à l’ange une aile et à Dieu la forme humaine afin de montrer la supériorité de Dieu sur ses anges. Les ailes sont un instrument parmi les fondements du mouvement, c’est pourquoi il convient de les attribuer aux émissaires et non à Dieu. Ils leur sont attribués parce qu’ils sont commandés et qu’ils ne commandent pas. Nous avons dit qu’ils « identifient la forme à son modèle ». On veut dire qu’ils identifient la forme qui est dans l’âme du prophète qui est matériel (à un ange), à son modèle, qui est Dieu. Et il est écrit : « Au-dessus de la ressemblance du trône, comme un aspect d’homme » (Ezéchiel 1:26). Sache que peut-être, les formes qui apparaissent dans l’âme du prophète et la vision du Prince de l’armée du Seigneur, ne se trouvent pas ailleurs que dans l’âme. » […] Il s’agit d’un secret très extraordinaire, nous aussi au moment de la rédaction de ce livre, lorsque nous avons ponctué le nom tétragramme avec des points-voyelles, ont surgi devant nos yeux des choses qui faisaient obstacle, comme la ressemblance d’un feu rouge au moment de la prière du soir, à tel enseigne que nous avons été bouleversé à cause d’elles et que nous les avons laissées, ceci nous est arrivé lors de notre rédaction à plusieurs reprises, et Dieu dans sa miséricorde éclairera nos yeux dans sa Torah. Amen. »

 

Texte attribué à Abraham ibn Ezra :

« Image (temounah) veut dire une vision au milieu de quelque chose, comme hachmal (énergie) au milieu du feu, tout comme l’homme qui voit une forme dans l’eau, que ce soit la forme de la lune, ou de quelque chose d’autre ou sa propre forme, et comme le dit un verset : « C’est l’image de Dieu même qu’il contemple » (Nomb. 12:8), c’est dans l’image de lui-même qu’il voit la lumière de Dieu et sa gloire, et tel est le sens des paroles : « Une image se tient là contre mes yeux » (Job 4 :16).

 

Isaac d’Acco, Otsar Hayyim :

« Après s’être coupé de toute chose corporelle, il verra son Palais (la forme de son corps), se tenant vraiment devant lui et dialoguant avec lui, comme quelqu’un qui parle avec son prochain, et il en oubliera sa propre forme comme si son corps n’était pas de ce monde … L’âme des prophètes se tient devant eux pareille à la forme de leur corps, conversant avec eux et eux disent que c’est le Saint béni soit-il qui parle avec eux. Et quelle est la cause de ce mystère prodigieux ? L’abandon par l’âme des choses sensibles puis l’acte opéré par celle-ci, qui s’étant défaite du sensible, se revêt de l’esprit divin. »

 

Judah ben Nissim ibn Malka (milieu du XIIIe siècle) :

 « L’auteur dit : J’ai vu de mes propres yeux un homme qui a vu, alors qu’il était éveillé, une force ayant forme d’ange et qui a parlé avec lui et lui a dévoilé l’avenir. Le Sage dit : Sache qu’il ne voit rien d’autre que lui, parce qu’il se voit à partir de lui, de dos et de face, comme quelqu’un qui se voyant dans un miroir ne verrait rien d’autre que lui et qui semblerait voir une chose en dehors de son corps mais qui lui ressemble… (p. 22-23 ; Kitab uns ve-tafsir, Ramat Gan 1974, éd. Vajda).

 

L’ensemble de ces textes, et bien d’autres semblables, qui considèrent que la prophétie consiste à se voir soi-même comme si l’on était un autre, et à converser avec soi, reprennent une idée ancienne qui se trouve dans un livre en hébreu de caractère apocalyptique intitulé « Visions d’Ezéchiel » (Ve siècle) et qui est l’un des plus anciens commentaires juifs sur le premier chapitre de ce livre biblique :

 

« Tandis qu’Ezéchiel contemplait, Dieu lui ouvrit les sept cieux et il vit la Puissance. A l’exemple de quoi la chose ressemble-t-elle ? A un homme qui entre chez un coiffeur et celui-ci lui coupe les cheveux puis lui donne un miroir qu’il se met à regarder. Alors qu’il contemple ce miroir, le roi passe. Il voit le roi et les soldats qui l’escortent près de la porte [de la ville]. Il se retourne et le coiffeur lui dit : Tourne-toi donc et regarde le roi ! Il lui dit : Je [l’]ai déjà vu [dans] le miroir ! Ainsi en est-il d’Ezéchiel : Il se tenait debout près du fleuve Kebar et il contemplait les eaux, quand sept cieux lui furent ouverts et il vit la gloire divine. Les vivants, les anges officiants, les cohortes, les séraphins, les étincelants ailés, étaient attachés au Char céleste. Ils traversaient les cieux et Ezéchiel les voyait dans l’eau [du fleuve] c’est pourquoi il est dit : ‘Près du fleuve Kebar’ (Ez. 1:1).

 

En voyant son reflet dans les eaux qui agissent comme un miroir, le prophète voit le « Roi » qui passe dans le ciel avec son cortège angélique. Il me semble qu’il est important d’insister sur plusieurs points. L’inspiration mystique s’apparente très étroitement à la perception prophétique. Les cabalistes sont très clairs à ce sujet, et notamment les disciples, directs ou indirects, d’Abraham Aboulafia (né à Saragosse en 1240 mort 1292 dans l’île de Comatino, près de la Sicile). Bien qu’ils établissent des différences de degré entre les prophètes auxquels une mission publique et confiée et ceux qui n’ont qu’une activité « privée » d’enseignement, un même phénomène « d’autoscopie » est évoqués comme explication de leurs visions et des messages qui leur sont transmis. Pour enclencher le phénomène de transmission de l’esprit saint et de dialogue prophétique afin obtenir des réponses à ses questions et la révélation de l’avenir, le candidat prophète doit tout d’abord « faire comme si ». La rouah, l’esprit, que la Bible définit aussi comme un « rien », est un vide qui laisse place et espace à un soi-même transfiguré, non pas un autre soi-même mais un soi-autre, qui nous ressemble intimement, qui a la même forme et la même voix, mais qui nous fait perdre la capacité de nous reconnaître, ou, comme le disent les textes cabalistiques, qui nous fait nous oublier nous-mêmes, nous « absenter » de nous-mêmes, en un mot cesser d’exister en tant que même. Cette sorte de soi « kénosique », vide de notre être, appelle la plénitude de la prophétie. Alors se découvre que le maître est au sein du soi, que le souffle qui balaie soi de soi, élargit une dimension intérieure repliée sur elle-même, et se révèle « Dieu à l’intérieur de toi » comme dit Aboulafia. Cette coïncidence paradoxale avec un soi-même qui est tellement autre et si proche, dialogue entre je et je infiniment séparés et réunis par un souffle, est vécu comme un moment d’illumination et d’exaucement, intensité du rien, regard sur soi-même comme tout Autre. Pour devenir prophète, il faut franchir bravement l’abîme qui nous sépare de notre absence, qui nous écarte et nous protège de l’oubli de soi. Mais être prophète, ce n’est pas seulement bénéficier d’une inspiration exceptionnelle, et connaître une expérience d’extase qui nous arrache à notre condition. Bien au contraire, un autre écrit mystique énonce qu’être prophète est la condition humaine normale, et que travailler à le redevenir consister à retrouver l’homme créé à l’image de Dieu :

 

Sefer ha Peliah, Byzance, début du XVe siècle. « L’homme habite en prophète » :

 

)31-21( ספר הפליאה - ד"ה ויאמר אלהים נעשה אדם בצלמנו

אמור לי אדם מהו, א"ל נביא, א"ל מהו נביא א"ל אדם, א"ל רבי איך, א"ל בני נביא הוא אדם במ"ק, א"כ צריך להיות נביא מי שיאמר עניני האדם ומלת אדם, א"ל ר' שמחה לאיש במענה פיו ודבר בעתו מה טוב בא אדם באתה נבואה ר"ל מ"ה בגי' אדם ר"ל לדעת ענין אדם טוב הוא זהו מ"ה טו"ב כי עתה הוא עתו וזמנו ע"י נבואה וגם חייך וחי ראשך אחר שיצא מפיך נביא ואנו עוסקים באדם אמור לי דבר מה מסדר נבואה איך ענינה כי ידעתי שלא יבצר ממך כל דבר, א"ל בני ירא אני פן תביאני לעומק ע"י שאלותיך ולא יהיו הדברים מסודרים ואענש ח"ו. א"ל דבר ולא אדבר וברוך העוזר והתחיל ואמר, הנבואה הוא ענין שכלי הוא אהבה לה' אלהינו ה' אחד וזה ידוע שאוהבי הנבואה הם אוהבי הש"י וגם הם אהובים לפני השם יתברך ואין ספק והם הם הנקראים חכמים ונביאים. וראה והבן אוהבים בגימטריא נבואה, ור"ל אוהבים נבואה אהובים והמעלה הזאת בעצמה היא עבודת השם יתברך מאהבה. ודע והבן שכל מי שיודע שם השם יתברך רוחו רוח הקודש בקרבו והשפיע לו מטובו והעירו והניעו והכריחו השפע הקודש ההוא להשתדל אחר ידיעת הש"י לקדשו ולמען ספר שמו בכל הארץ. ודע והבן כי המתנבאים בידיעת הש"י הם המתאהבים עם השם יתברך,


« Dieu dit : Faisons l’homme à notre image » (Gen. 1:26). « Dis-moi ce qu’est un homme ? » Il me dit : « Un prophète ». Je lui dis : « Qu’est-ce qu’un prophète ? » Il me dit : « Un homme ». Je lui dis : « Rabbi, comment cela ? » Il me dit : « Mon fils, prophète est homme selon la petite valeur numérique, aussi faut-il qu’il soit prophète celui qui parle des affaires de l’homme et qui énonce le mot homme ». Je lui dis : « Rabbi, ‘c’est une joie pour l’homme qu’une réponse de sa bouche, et une parole dite en son temps, qu’elle est bonne’ (Pro. 15:23), vint l’homme, vint la prophétie. Je veux dire : « qu’elle » (mah) a la même valeur numérique qu’homme (Adam = 45), à savoir : connaître l’affaire de l’homme, c’est bien, c’est ce que signifie : « Qu’elle est bonne » (mah tov) (=45+18= 63 = prophète). Car à présent c’est son temps et son époque grâce à la prophétie. Aussi, par ta vie et par ta tête, après que de ta bouche est sorti le prophète, alors que nous nous sommes consacrés à l’homme, dis-moi donc quelque chose concernant la structure de la prophétie, comment est-elle constituée ? Car je sais que tu n’ignores rien. Il me dit : « Mon fils, je crains que tu ne m’amènes au fond des choses par tes questions, et que rien ne soit correctement organisé et qu’en conséquence j’en sois puni, à Dieu ne plaise. » Je lui dis : « Parle, je ne dirai rien et béni soit celui qui aide. » Il commença un exposé : « La prophétie est une affaire intellectuelle (mind), c’est l’amour de Dieu, ‘notre Dieu qui est Un’, et l’on sait que ceux qui aiment la prophétie sont ceux qui aiment Dieu, et ils sont aussi aimés de Dieu, sans aucun doute. Ce sont eux qui sont appelés sages et prophètes. Vois et comprends que « ceux qui aiment » a même valeur numérique que  « prophétie », je veux dire : ceux qui aiment la prophétie sont les aimés. Et ce degré en lui-même est le culte de Dieu effectué par amour. Sache et comprends que quiconque connaît le nom de Dieu, béni soit-il, son propre esprit est l’Esprit saint en lui, et il lui épanche de sa bonté et il l’éveille et il le meut, et ce saint épanchement l’oblige à se consacrer à la connaissance de Dieu, pour le sanctifier, et afin que son nom soit proclamé par toute la terre. Sache et comprends que ceux qui prophétisent dans la connaissance de Dieu ce sont ceux qui sont aimés de Dieu, béni soit-il ».

 

Nous retrouvons dans ce texte plusieurs éléments et allusions à des thèmes rencontrés chez des auteurs antérieurs. La contribution originale la plus évidente de ce livre est qu’il fait de l’amour de Dieu l’essence même de la prophétie, et cela en s’aidant d’un jeu de mots, sensible en hébreu, entre aimer et prophétiser (mitnahavim et mitnav’im). La prophétie n’est rien d’autre que l’amour réciproque entre Dieu et l’homme. Cet amour est l’événement de l’humain. L’esprit ou le souffle qui habite l’homme n’est autre que l’Esprit saint pour l’homme qui connaît « le nom de Dieu ». Le vrai « culte » divin, ce que l’on appellera plus tard la « religion », n’est autre que « l’amour de la prophétie », qu’il faut entendre non pas comme le fait d’aimer une abstraction appelée « prophétie », mais l’expérience existentielle appelée « prophétie » que chacun peut et doit faire et qui est une plongée dans cet amour mutuel entre Dieu et l’homme, où l’un et l’autre se confondent, l’homme comme image d’un modèle divin. Expérience d’identification amoureuse, la prophétie (et la sagesse qui lui est ici associée), est l’essence jubilatoire de l’humain.

 

Les mystiques juifs du Moyen âge, au moins jusqu’au XVe siècle, se sont efforcés de faire de la prophétie une expérience presque commune, à tous le moins recommandée, et plusieurs d’entre eux ont frayé la voie d’une méthode pratique permettant à tous d’y parvenir. Loin d’être pris de vertige face aux exemples anciens et prestigieux tirés de l’Antiquité biblique, ils ont purement et simplement assimilé l’inspiration mystique qui venait de leurs expériences vécues, au prophétisme dont ils se sentaient les héritiers légitimes, mieux, les continuateurs fidèles. Cette apparente aisance à endosser pleinement l’habit du prophète, sans trop de scrupules théologiques, vient sans doute en partie du fait qu’ils ne ressentaient pas de fossé historique les séparant inexorablement de leurs précurseurs anciens. Après tout, ils pensaient et écrivaient dans la même langue qu’eux, pratiquaient la même religion, considéraient les mêmes écrits comme sacrés, chômaient les mêmes jours et célébraient les mêmes fêtes avec les mêmes cantiques. Et surtout se reconnaissaient les mêmes ancêtres et considéraient qu’ils appartenaient à la même lignée. Il convient en conséquence de ne pas s’étonner outre mesure de ce qui pourrait paraître comme étant une extrême audace, voire une prétention déplacée dans d’autres cultures. Mais cette manière presque désinvolte de faire du phénomène prophétique une réalité actuelle, quasi courante, d’encourager les lecteurs et les disciples à s’y adonner, de chercher les moyens concrets de stimuler l’inspiration prophétique et de les répandre parmi les foules, est très riche d’enseignements. L’un des traits les plus marquants, est que, malgré cette « propagande » prophétologique, les mystiques médiévaux que l’on a mentionnés n’ont guère cultivé l’exaltation apocalyptique. La plupart ont développé des « sagesses prophétiques » et n’ont pas renchéri sur les attentes messianiques communes. Le vent de l’Esprit ne souffle pas toujours où il veut, même quand il s’agit de l’esprit saint. Se mettre à l’abri de ses assauts quand il se met à souffler en tempête, canaliser ses rafales redoutables, cela implique sans doute d’apprendre à se regarder tel que l’on est, avec ses grandeurs et ses misères. Passer de l’illusion à l’illumination, qu’un fin cheveux peut-être sépare, c’est là le long et patient travail que seul l’ancrage dans une tradition prophétique permet d’assurer dans une certaine mesure, parce qu’elle procure les mots et les images, contraintes sémantiques et plastiques, qui configurent ensemble un espace d’inspiration ordonné et libre.

 

Passage non édité :


)5( ספר שערי אורה - השער השני - הספירה התשיעית

ולפיכך דע, כי לפי שהם המראות שבהן היו נביאים מסתכלין, תמצא כי בעת הנבואה היה גוף הנביאים נרתעו נפחדו ונזדעזעו ועצמותיהם נבהלות עד שמתהפכין כענין שהיו בראשונה, שנשמתן מזדככת ואז רואים במראה הנבואה מה שהם רואים, ועל זה נאמר; במראה אליו אתודע (במדבר יב, ו). ולפעמים על ידי חלום, וכפי רוב המחיצות ירבו המשלים והחידות בהם, וזהו אמרו 'בחלום אדבר ב

 

)71( ספר שערי צדק - השער הראשון )המשך(

תדע כי לפי שהם סוד המראות שבהם מסתכלים הנביאים תמצא בעת הנבואה שגופן של נביאים נרתע ונפחד וכל גופן מזדעזע וכל עצמותיהם נבהלות עד שמתהפכין מסדר שהיו בראשונה עד שנשמתן מזדקקת ואז רואים מה שרואים ועל זה נאמר במראה אליו אתודע

 

Moïse ben Chem Tov de Léon, 1240-1305, Castille. Le Sicle du sanctuaire. La question est de savoir comment un personnage aussi impur que Balaam a pu être un grand prophète.

« S’il en est ainsi, c’est une chose grande et formidable que [Balaam] équivaille par sa prophétie au degré de perfection du maître de tous les prophètes ! Et ils ont déjà enseigné à propos de ce qui est marqué : « Dieu se présenta (vayiqar) à Balaam » (Nom. 23:4) [que le verset] comporte une expression connotant la souillure sexuelle (qéri) et l’impureté. Comment, Lui, béni soit son nom, a pu faire résider sur [Balaam] l’Esprit saint et comment l’Esprit saint peut-il résider sur un lieu impur ? N’a-t-il pas commandé à ses serviteurs, ses officiants, le peuple saint : « Ne vous rendez pas vous-mêmes immondes » (Nom. 11:43) ? […] »

« Mais c’est une question étonnante : comment celui qui est impur en s’étant rendu impur volontairement peut-il prophétiser de par l’Esprit saint ? Or il a déjà été dit : « Le méchant ne demeure pas auprès de toi » (Ps. 5:5), autrement dit : Le Saint béni soit-il ne place pas sa résidence auprès d’un impur. L’explication correcte est de toute façon déjà connue de quiconque possède des yeux : « Qui prend l’initiative de se rendre impur, on le rend impur[1] », et quand l’homme se rend impur volontairement, il attire auprès de lui l’esprit d’impureté et il se rend ainsi davantage impur. Mais quand l’homme se < corrige > par de bonnes actions et se laisse attirer par la sainteté, on le sanctifie d’en haut < et il attire à lui la sainte Mère et la sainteté d’en haut s’établit sur lui >. Considère ceci : parce que le méchant se rend impur volontairement, il attire sur lui l’esprit d’impureté et on le rend impur en dépit de tout. Or [Balaam] s’accouplait avec son ânesse ! Et telle est la recette des magiciens et des sorciers : ils n’obtiennent pas accès à ce qu’ils demandent avant de s’être rendus volontairement impurs. Ainsi les saints prophètes, ministres du Très-Haut, lorsqu’ils souhaitaient [accéder] au degré de l’esprit prophétique et obtenir les choses qu’ils désiraient, se sanctifiaient-ils et s’adonnaient-ils à la sainteté afin de trouver et d’atteindre leur but. Il en va ainsi des magiciens, des devins et des maîtres du serpent, qui se rendent impurs volontairement par une impureté particulière afin que l’esprit d’impureté s’établisse sur eux. Car c’est en fonction de leur comportement au niveau de leurs actes que vient résider sur eux l’esprit, qu’il soit du côté de la sainteté ou du côté de l’impureté. Ainsi donc, Balaam le scélérat était un magicien et un jeteur de sorts, et il ne pouvait pas accéder au but qu’il s’était fixé avant de s’être rendu impur avec son ânesse, alors il attirait sur lui l’esprit d’impureté. En vérité, le secret de la chose est que le degré de prophétie de Balaam le scélérat ne procédait que du côté de l’impureté et grâce à cet esprit il obtenait l’accès à la connaissance dans le côté impur, de même que Moïse notre maître au niveau de la sainteté. Moïse en haut au niveau de la sainteté, Balaam en bas, au niveau de l’impureté. Cette chose a fait l’objet d’une ques­tion des sages et ils ont obtenu une réponse à laquelle nous avons fait allusion. 



[1]Voir Yoma 39a. Voir un long développement à ce sujet dans Moïse de Léon, Le Tabernacle du témoignage, Ms. Jérusalem 8° 2922, fol. 33a. En marge de son exemplaire (R 246, p. 17), G. Scholem écrit : « L’ensemble de ce passage est tiré du Zohar I, 125b. »




 
Copyright (C) 2014 - Tous droits réservés à Aline Mopsik