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Par Charles Mopsik
Pendant très longtemps attendu,
le KUZARI de Juda Hallévi vient enfin d’être intégralement traduit et publié en
français. Nombreux sont les francophones qui désiraient ardemment lire cet
ouvrage qui est l’un des plus grands et des plus célèbres livres que compte la
pensée juive. Nul mieux que Charles Touati, savant réputé au niveau
international, qui a formé plusieurs générations d’étudiants aux disciplines
d’étude scientifique du judaïsme, ne pouvait affronter les difficultés de ce
travail de traduction depuis l’original arabe, confronté avec la version
hébraïque ancienne et méticuleusement annoté. Cet ouvrage entre désormais dans
la bibliothèque des livres que tout homme cultivé, tout juif soucieux de son
patrimoine culturel et intellectuel, se doit de posséder. Et il y tient l’une
des toutes premières places. Nombreux sont les lecteurs qui attendaient la
parution du Kuzari depuis des années, je dirais même depuis leur jeunesse et
qui, découvrant l’objet de leur désir sur les tréteaux des librairies, ne
durent pas en croire leurs yeux. Un livre tant espéré acquiert un statut
spécial et mérite une attention particulière. Il n’est plus seulement un grand
ouvrage classique, l’un de ceux que l’on doit lire impérativement. Il tient une
position dans l’histoire des idées et des croyances religieuses du judaïsme, et
cette position, il la conserve par-delà les siècles et les continents, car il
traverse intact les multiples changements que subit la vie des peuples, et il
éclaire le présent de sa lumière éternelle. De nos jours surtout, où la
confusion, l’ignorance voire même le mensonge s’insinuent partout dans les
milieux prétendument religieux du judaïsme, le livre de Juda Hallévi, servit
avec brio par la traduction de Charles Touati, apporte une bouffée d’air
frais, et nous donne le sentiment que
le judaïsme a encore quelque chose à dire de l’ordre du clair, du vrai, du
juste, en un mot du divin. Le contenu de cet ouvrage, présentation systématique
de la religion juive d’un haut degré d’élévation spirituelle, fait voler en
éclat l’obscurité - sinon l’obscurantisme - qui sévit aujourd’hui dans les
présentations qui sont faites communément de la religion de la Torah. Le Kuzari a été achevé en 1140, à Cordoue,
donc en plein Moyen Age. Ce Moyen Age que les modernes disent souvent obscur et
dont le nom est devenu synonyme d’un état de barbarie culturelle et
intellectuelle, a plus d’une leçon à nous donner. Ses grands penseurs comme
Juda Hallévi paraissent des modèles de sagesse, de discernement, de raison et
de savoir si on les compare aux cuistres prétentieux qui passent pour des
maîtres en matière de judaïsme, qui sévissent largement aujourd’hui avec l’aide
des médias de masse. C’est pourquoi les enseignements, mais aussi la tonalité
et le style d’écriture et de pensée d’un Juda Hallévi, sont de précieux
témoignages pour nous, génération qui n’a pas eu le mérite d’avoir de vrais
maîtres, ils attestent qu’une telle forme de judaïsme, sain d’esprit, patient,
méthodique et rigoureux dans ses démonstrations, élevé spirituellement,
profondément sérieux dans la conscience qu’il a de lui-même, a bel et bien
existé. Le sous-titre de l’ouvrage, « Apologie de la religion
méprisée », fait allusion au dialogue que le Rabbin, principal intervenant
du livre, a entamé avec le roi des Khazars, de ce royaume semi-légendaire qui
se serait converti au judaïsme à l’instigation de son souverain. La religion
juive était un objet de mépris pour les nations chrétiennes et musulmanes,
ainsi que pour les philosophes, qui voyaient en elles la survivance d’un échec
historique et religieux marqué par la destruction du Temple et l’exil d’Israël.
Le Rabbin dans la bouche duquel Juda Hallévi met son apologie du judaïsme,
confronté à ce mépris universel, répond point par point en faisant la
démonstration de la valeur et de la haute dignité de cette religion, allant
jusqu’à affirmer que toutes les sciences, y compris la philosophie, proviennent
des hébreux et sont ensuite passées chez les grecs. Israël, situé au coeur des
nations, remplit une mission universelle en faveur du vrai Dieu et de la Loi
révélée. Le Rabbin, au terme de son discours, après avoir convaincu le roi des
Kahzars, décide de se rendre à Jérusalem, car dit-il, c’est en ce pays
seulement que les oeuvres religieuses peuvent être parfaitement accomplies. Le Kuzari, considéré comme un grand
classique de la philosophie juive médiévale, exerça une immense influence et
fut plusieurs fois commenté. Les cabalistes en particulier lui doivent
beaucoup. La centralité très moderne qu’il accorde au pays d’Israël fait qu’il
a été très lu par les tenants du sionisme religieux. Il est sans doute la
principale source d’inspiration médiévale de la pensée juive du vingtième
siècle. A ce titre, sa lecture est indispensable pour comprendre comment et à
partir de quelles prémices les discours et les idéologies religieuses modernes
ont été élaborées.
Juda Hallévi, Apologie de la religion méprisée.
Traduit du texte original arabe (confronté avec la version hébraïque),
introduit et annoté par Charles Touati. Edition internationale : Peeters,
Louvain. Pour la France : Edition Verdier, 11220 Lagrasse. 256 pages, 198
francs.
Charles Mopsik
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