HOMMAGE DE ROLAND GOETSCHEL
Intervention du 15 avril 2004 à la Société des Etudes Juives, Paris HOMMAGE A CHARLES MOPSIK Lorsqu'en 1981, Charles Mopsik
publia à l'âge de vingt-neuf ans le premier tome de son Zohar, il était encore,
mis à part, un cercle étroit de quelques amis dont Benny Levi, Eric Smilevitch
et Claude Birman, un parfait inconnu et ils publièrent ensemble Caïn et Abel (1) sous
l'égide de Jean Zacklad, lui aussi trop tôt disparu. Depuis lors, la réputation de
ce travailleur infatigable s'est imposé à tous ceux, lecteurs ou spécialistes
qui s'intéressaient au domaine de la kabale . J'ai parlé de "son Zohar
"(1981) pour souligner de quelle passion, Charles s'était pris pour ce
grand livre, pour sa traduction à laquelle il avait consacré son existence.
Ecoutons-le parler, avec quelle fougue, de sa traduction :
Il est un autre domaine où
Charles Mopsik, s'est investi, c'est celui de la relation conjugale et de son
rapport au judaïsme. Depuis sa "Lettre sur la
Sainteté" (1986) (elle a été son sujet de thèse)
qui portait comme sous-titre Le
secret de la relation entre l'homme et la femme dans la cabale
(1986) jusqu'à son livre posthume "Le sexe des âmes, aléas de la différence sexuelle dans la
cabale en passant par de nombreux articles concernant ce sujet.
On ne peut mieux exprimer sa pensée là-dessus qu'en citant ses propres paroles
: " Pour arracher la
sexualité aux discours qui d'ordinaire la régissent et en faire une pièce
essentielle de la représentation du divin et d'un accès à lui, il a fallu tout
l'édifice de l'ésotérisme juif qui s'attache à retenir toute manifestation
humaine, non seulement de l'esprit mais aussi celle du corps, de ses passions
et de ses désirs, à l'intérieur du domaine où rayonne la lumière divine. C'est
pourquoi aussi la différence sexuelle, la dualité de l'humain, en homme et
femme, traduit et répète deux aspects inhérents à la divinité, le masculin et
le féminin, qu'il appartient aux justes d'unir et dont les noces infinies
scandent les grands moments de la vie du Nom par lequel Dieu est appelé, et de
sa révélation dans l'exil d'Israël, en attente de la Rédemption. Fécondité
encore des épousailles en Dieu de ses attributs amants : engendrer fils et
fille n'est ce pas se faire image de son Créateur, plus authentiquement et
par-delà le tragique terrestre de l'imitatio Dei
où par la mort surtout l'homme accède à un niveau d'être plus sublime " (6). "l''essentiel de la cabale
est constitué d'une théosophie, doctrine concernant la nature du divin, à
partir de laquelle des clés sont forgées pour accéder à une connaissance totale
du monde : de l'homme aussi bien que de la nature, en vue d'agir favorablement
sur eux. C'est la théurgie, ce qui se passe derrière les phénomènes naturels, a
leurs racine non manifestées dans le monde naturel . " (8) " Pour les cabalistes, il
existe dix médiations ou inter mondes, dénommées sefirot,
elles constituent un pont reliant deux rives séparées par un abîme; sur une
rive se trouve l'inconnu, l'inaccessible, l'indicible En-Sof sans nom . Sur l'autre rive, il y a le
cosmos dont notre propre univers n'est qu'une parcelle. Les dix sefirot sont les fils qui permettent le passage
d'un bord du gouffre à l'autre (…) nature essentielle du cabalisme ce qui fait
son centre de gravité : la connaissance de la structure médiatrice entre
l'ici-bas et l'au-delà mystérieux. "(9) "Toute forme est la
manifestation limitée de ce qui est et cette limite produite par le passage par
la forme dissimule la plénitude de ce qui est . Le sefirot révèlent et ne
révèlent pas l'insondable Eyn Sof."(10)
Ce ne sont pas les fautes du
peuple juif qui lui valent cette condition historique désastreuse mais la
méchanceté du Serpent et de son compagnon Samaël, ange tutélaire du monde
chrétien. Si une telle injustice a pu être commise, c'est que le Père a disparu
dans les lointains et que la Mère est impuissante, qu'elle s'est éclipsée lors
du procès que l'Accusateur a intenté à ses enfants. Ce n'est pas que Dieu a
accepté le verdict de condamnation, c'est que les choses se sont déroulées en
son absence ; alors qu'il était lui- même séparé en deux moitiés qui ont cessé
de se rejoindre." (11)
"Certes la Mère est
présentée comme une figure d'intercession en faveur de ses enfants, mais d'une
part, cette Mère est une figure de la divinité et, non pas comme dans le
christianisme, un personnage humain élevé au rang de sainte et d'autre part,
cette intercession appartient au registre de la mémoire, elle n 'a plus aucune
actualité. Par ailleurs, Jésus est censé avoir souffert sur la croix à la place
de l'humanité par la faute du premier homme, dont il l'aurait pour toujours
purifiée (...) Au lieu de quoi, la Mère interceptait régulièrement dans les
hauteurs célestes les "coups de fouet" du Père et recevait à la place
d'Israël les châtiments qu'ils avaient mérités. Cette passion de la mère, bien
représentée dans le Zohar, n'a aucun caractère évènementiel. Alors que dans le
christianisme, l'essentiel est considéré comme se jouant dans la relation
père-fils, dans le Zohar, l'essentiel se joue dans le rapport mère-fils ou
plutôt dans une relation triangulaire entre père, mère et fils où la figure
maternelle est située dans le plan divin alors que celle du fils se situe dans
celui de l'histoire humaine. " (12) "C'est en creux ou comme
des creux que les sefirot
s'inscrivent au tout début de l'émanation. Elles ne surgissent pas hors du
Néant divin : elles y sont des trous, des manques. Elles ne manifestent pas un
Dieu inconnaissable, elles délimitent les strates de son inconnaissance. Elles
désignent une à une notre ignorance en donnant une forme à l'Inconnu. C'est
pourquoi, elles ne sont pas objet de pensée pour les cabalistes et encore moins
des concepts. Elles sont les dix manifestations de notre ignorance au sujet de
l'Infini. De la première à la dernière, elles décrivent l'étendue du néant de
notre savoir en même temps que du Néant divin. Connaître ces dix émanations,
c'est connaître précisément les limites de notre connaissance relativement à la
divinité (…) Sonder le fond obscur de l'Infini dans le creuset par où il
échappe à notre entendement . Les sefirot
et bien sûr, les figures qui les représentent dans le Zohar, constituent donc
le butoir de notre désir de connaître". (13)
Charles Mopsik ainsi nous
laisse entendre que toute science s'achève en nescience. Il a occupé dans les
études juives, une place qui transcende les catégories habituelles. Peut-être
la meilleure illustration en est t-elle celle de Métatron. Dans le midrash, Metatron est figuré comme un
cordonnier qui coud des semelles des chaussures. On dit de lui qu'à chaque
couture, par laquelle il reliait la terre au ciel , il s'exclamait : "
Béni soit le nom de la gloire de son Royaume " Je pense que l'œuvre de
Charles Mopsik, tenait par bien des côtés, de cette pratique là. Notes : Le Zohar tome 1, Traduction, annotation et
avant-propos par Ch. Mopsik
; Ed. Verdier ; Coll. "Les Dix Paroles" ; 1988 ; page
7. . op. cit. page
8. . op. cit. page
13. op. cit. page
14. Lettre sur la sainteté, étude préliminaire,
traduction de l'hébreu et commentaires par Ch. Mopsik ; Ed. Verdier ; Coll. "Les
Dix Paroles" ; 1986 ; pages 13-14. .
Le Livre hébreu d'Hénoch ou
Livre des Palais, traduit de l'hébreu annoté et introduit par Ch. Mopsik ; Ed. Verdier ; Coll. "Les
Dix Paroles" ; 1989 ; page 84.
La cabale ; Ch. Mopsik ; Ed.
Jacques Grancher ; 1988 ; pages 8-9. op. cit. page
9. op. cit. page
10. Zohar sur les Lamentations ; traduit de l'hébreu annoté
et introduit par Ch. Mopsik
; Ed. Verdier ; Coll. "Les Dix Paroles" ; 2000 ; page15 op. cit. pages
16-17. op. cit. pages
31-32.
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